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Les Rossignols du carnage de Les Chevals de Trois : notre avis

15 Novembre 2025 à 22h46

Jérôme Chaudier - Rédacteur en chef et président

Jérôme Chaudier explore les coulisses culturelles et locales du Grand Avignon. Journaliste et développeur, il mêle passion du théâtre, regard critique et innovation numérique. Engagé auprès des artistes et du territoire, il défend une information libre, exigeante et proche des habitants comme des visiteurs.

Dans un décor post apocalyptique, deux personnes (Mathieu Laviolette et Dimitri Lepage) se partagent la scène comme les derniers dépositaires d’une humanité vacillante. La fumée et l’odeur plongent la salle en immersion. Les sens sont en éveil et cela permet une introduction puissante grâce à l’histoire contée. Ils ne sont plus que deux, les derniers éclats de l’humanité, ce qu’il demeure après l’effondrement. Mais il n’y a de place que pour un. Alors, au seuil de la mort, le condamné ne demande qu’une chose : une histoire, celle de la vie de celui qui s’apprête à le faire disparaître.

Les Rossignols du carnage Les deux comédiens incarnent les derniers humains. L’un porte un regard cynique et lucide. L’autre vacille quelque part entre paranoïa, échappée narcotique et trauma irréversible. Entre eux, le temps se dilate. Les silences, parfaitement dosés, laissent l’imagination prendre la relève. Quelques pointes d’humour, fines et bienvenues, rappellent que même au bord du gouffre, l’homme trouve refuge dans le récit. « Les récits, c’est le propre de l’homme », lance l’un des protagonistes. Peut-être aussi ce qui le sauve.

Lors des danses et avec les mouvements désarticulés des corps, se lit la condition d’êtres broyés par un système devenu prison à ciel ouvert. La nécessité d’exister, de trouver une place, de donner un sens à ce qui n’en a plus. L’ombre du nihilisme n’empêche pas la lucidité. « Il faut être apte pour prendre de la drogue… mais si tu prenais de la drogue, c’est que tu n’étais pas apte », entend-on dans un échange teinté ironie. Le spectacle dépeint une société en chute libre qui refuse encore d’admettre sa propre décomposition.

Le texte avance avec rigueur, s’étire dans une montée maîtrisée, jusqu’à une véritable paroxysme. On ne sait plus vraiment si l’on assiste au récit de deux survivants ou à la dérive mentale d’un homme écrasé par un monde trop lourd. « On jouait à un jeu qu’on ne pouvait gagner », résume-t-il. C’est toute la mécanique de notre monde et du capitalisme que la pièce interroge avec une distance critique toujours juste et jamais excessive, qui reste pleinement intégrée au récit.

Au-delà des dialogues et de l’interprétation, Les Rossignols du carnage réussit a nous toucher : il invite à redevenir soi, à imaginer, à créer et à s’affirmer. Un spectacle qui secoue, élève et confirme que le théâtre demeure un endroit où l’on peut encore regarder le monde sans filtre.
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