Mamie Lüger - Centenaire, Féministe et Tueuse en série de Josiane Carl et Carole Chevrier : notre avis

Berthe a cent deux ans. On la surnomme Mamie Lüger à cause d’une arme du même nom qu’elle a volée à un nazi. Un jour, à six heures du matin, elle canarde l’escouade de policiers qui a pris d’assaut sa chaumière. A huit heures, le capitaine Ventura entame la garde à vue la plus ahurissante de sa carrière au cours de laquelle la grand-mère au Lüger vide son sac, et le récit de sa vie se transforme en un feu d’artifice. Elle y raconte sans complexe, tour à tour, des meurtriers en cavale, une Veuve noire et des nazis enterrés dans sa cave.
Mais à quel jeu de dupe, au juste, Ventura est-il exposé dans ce face-à-face avec Berthe ?
Une adaptation du roman noir de Benoît Philippon pourtant tout en "éclats de diamants" et qui sonne juste le glas d’un féminisme plus que nécessaire.
Mais pas que...!!

Pour nous, c’est à chaque fois la même interrogation: quelles ont bien pu être les raisons intrinsèques pour qu’une Compagnie, un ou un metteur(se) en scène, un ou une comédien.n.e. se jette dans la gueule du loup d’une adaptation littéraire !? Démarche pour le moins hasardeuse mais néanmoins ambitieuse, s’il en est, et dont la réponse dépasserait l’objet de notre présente réflexion.
Ce roman, nous l’avions lu et, encore une fois, nous attendions avec impatience la mise en scène, forte d’idées préconçues, sans doute, d’un possible créatif mais qui n’engage que nous.

Dans le cas présent, nous avons été comblée car cette adaptation, toute en finesse et humanité, car c’est un véritable bijou. Mise en scène par Antoine Herbez interprétant aussi le rôle du capitaine Ventura, la pièce submerge rapidement les spectatrices et les spectateurs tant l’interprétation de la comédienne, Josiane Carle, est époustouflante.
Mariée à plusieurs hommes "foireux", Berthe n’y est pas allée par quatre chemins tout au long de sa vie, et elle s’est faite justice elle-même, pour sauver sa peau, elle qui a reçu par sa grand-mère une éducation basée sur l’indépendance, la liberté, loin de toutes conventions et de normes sexistes. Son esprit frondeur, sa gouaille, sa manière de jouer avec les autres, et de le revendiquer, cache aussi, à bien y regarder, une véritable ode à la vieillesse. A travers les mots de Berthe Gavignol, bien sourde et sourd serait celle ou celui qui ne verrait pas à quel point cette dernière, loin d’être un naufrage, est une apogée de puissance et d’analyse sur soi et le monde.
"Berthe-Mamie MeToo Lüger " est une Antigone des temps modernes devenue vieille, une Médée rebelle ayant vécu, et qui s’insurge jusqu’à la fin contre les normes sociales, patriarcales et morales qu’on lui a imposées.
Elle est indéniablement féministe et émancipatrice mais toute auréolée par la distance que lui a inculquée le temps qui a passé, ce temps dont on se dit que tout désagréable qu’il soit, il doit conférer à l’âme un regard plus affûté sur les choses de la vie.

On regrette presque de ne pas avoir encore cent deux ans pour éprouver autant de liberté!
Brillamment interprété par la grande comédienne-metteuse en scène et autrice Josiane Carle, aujourd’hui âgée de 85 ans, Mamie Lüger au corps vieilli et amoindri, est un lieu de résistance, un territoire politique loin des discours normatifs d’utilité et de productivité.
Elle ne manque pas d’humour, cela dit, Berthe, notamment dans ses propos satiriques autour de la justice, la police ou encore une fois le patriarcat.

Et si, finalement, Josiane Carle et Berthe Gavignol n’était qu’une seule et même personne?! Gageons, tout de même, que la comédienne ne cache pas un Lüger dans sa maisonnée. Quoique! Car le Théâtre n’en est-il pas une d’une certaine manière ?! Car c’est elle en personne qui a contacté le romancier pour cette éblouissante représentation.
Il est fort probable que parmi le public certaines personnes reconnaissent en Mamie Lüger certaines femmes proche de lui mais qui n’ont pas su se défendre comme elle l’a fait, muselées, emprisonnées et sous emprise toute leur vie!
Dans le rôle du capitaine Ventura, surnommé Lino par Berthe, Antoine Herbez interroge avec élégance, en axant son incrédulité vers le public, et parvient à être le contrepoint de la flamboyante Mamie Lüger. Il parvient à faire basculer la pièce vers un drame hautement humain du fait de sa crédulité, en grande partie.
Une forme de réhabilitation avec le mâle, peut-être, loin de tout masculinisme ambiant et réducteur ou de certains poncifs autour des relations hommes-femmes.

Berthe Gavignol ira t-elle en prison à perpétuité?
Ventura succombera t-il à ses supplications désespérées ?
Ou la fin de l’histoire sera t-elle jusqu’au bout à l’image de cette femme remarquable ?
Si vous êtes à Paris, courez au Théâtre Essaïon pour le découvrir.


Mamie Lüger
Roman de Benoît Philippon
Adaptation de Josaine Carle et Carole Chevrier
Mise en scène: Antoine Herbez
Avec Josiane Carle et Antoine Herbez
Lumières Fouad Souaker
Compagie "Ah"
Durée 1H15 Théâtre contemporain
Tout public

Théâtre Essaïon
6, Rue Pierre au lard
75004 Paris
Réservations 01 42 78 46 42 / www.essaion.com
Du 29 août au 1er novembre
Les vendredis et samedis à 19H00

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