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Miguel-Ange Sarmiento : « Au-delà du drame, la pièce parle surtout du lien et de l'amour familial »

À l'affiche du Théâtre des 3S durant le Festival d'Avignon, Miguel-Ange Sarmiento présente Mon petit grand frère, un seul en scène autobiographique. Auteur et interprète de ce texte, il y explore le drame familial qui a marqué sa vie : la perte de son grand frère alors qu'il n'était qu'un enfant. Une épreuve qu'il aborde à travers les thèmes du deuil, des non-dits et de la résilience, sans jamais perdre de vue la force des liens qui unissent une famille. Rencontre avec un comédien qui a transformé une histoire intime en un objet théâtral.

Miguel-Ange Sarmiento : « Au-delà du drame, la pièce parle surtout du lien et de l'amour familial »
8 Juillet 2025 à 0h38 Par Mathilde Pallon

Avignon et Moi : Pour commencer, pourriez-vous nous présenter votre pièce ?

Miguel-Ange Sarmiento : Dans Mon petit grand frère, je raconte comment mon grand frère est un jour devenu mon « petit » grand frère, car il a cessé de grandir. Un tsunami a déferlé sur notre maison et l'a emporté. Il n'a plus vécu avec nous, il n'était plus de ce monde. Je retrace le chemin que mes parents et moi avons parcouru jusqu'à aujourd'hui, malgré son absence. C'est donc un texte sur la famille, sur la relation fraternelle, mais aussi sur le lien avec les parents : comment ils changent, comment ils survivent, et comment une famille résiste et devient résiliente. C’est un mot très en vogue, mais enfant, je ne savais pas que j'étais un enfant résilient. C'est un texte qui parle beaucoup d'amour. C'est pour cette raison que les spectateurs sont très touchés : au-delà du drame, la pièce parle surtout du lien et de l'amour familial.

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire cette pièce, tant d’années après le drame ?

J'avais beaucoup de questions qui me trottaient dans la tête. À l'approche du cinquième anniversaire de la mort de mon frère, j'ai eu besoin de poser ces questions à mes parents. Il y avait une forme de silence, presque une omerta de la part du village où le drame a eu lieu. J'ai eu envie d'en savoir plus, d'éclaircir ma mémoire qui était trouble, car j'avais vingt-et-un mois au moment des faits et j'ai grandi dans le non-dit. Au départ, je n'avais aucune intention d'en faire un texte, et encore moins une pièce de théâtre. Je voulais juste m'éclairer. Mais au fil des réponses, j'ai ressenti le besoin de les mettre en forme. Le texte a d'abord séduit mes amis, mon entourage, et de fil en aiguille, on m'a encouragé à le faire entendre, puis à le jouer. Aujourd'hui, le texte a été traduit en anglais pour être joué aux États-Unis en 2026, en espagnol, ma langue maternelle, et en italien. Non pas pour une performance d’acteur, mais pour faire entendre ce texte le plus loin et le plus longtemps possible.

Avez-vous rencontré des défis particuliers lors de la création ou de la mise en scène ?

Non, ça n'a pas été facile. Le processus a été très douloureux. Heureusement, j'étais accompagné de Rémi Cotta, mon metteur en scène, avec qui je travaille depuis longtemps. Il fallait quelqu'un qui me connaisse très bien. Rémi a su accueillir mon texte, ma sensibilité, sans imposer une vision qui aurait pu tordre ce que je voulais exprimer. L'écriture a été douloureuse, elle s'est faite presque par vomissements. L'apprentissage du texte et les premières représentations l'ont été également. Puis, le professionnel a pris le dessus. C'est devenu un objet théâtral. Aujourd'hui, les gens qui ne me connaissent pas sont parfois surpris d'apprendre que c'est mon histoire, car c'est passé par le filtre du travail de comédien. Je suis maintenant au service de ce texte.

Quel accueil votre pièce a-t-elle reçu de la part de vos proches et de votre famille ?

Mes parents ne l'ont pas lue, mais ils ont vu une captation vidéo, un an après qu'elle ait été tournée. Cela a été compliqué pour eux. Mon père se cachait un peu derrière son AVC pour ne pas subir l'émotion de plein fouet. Ma mère a beaucoup pleuré et, à la fin, elle s'est tournée vers moi et m'a dit : « Je ne savais pas que tu avais traversé tout ça. » C'est une forme de pardon, peut-être, pour ce qu'ils m'ont fait traverser inconsciemment. Quant à mon entourage amical, ce sont eux qui m'ont poussé à écrire et à monter sur scène. C'est ensuite que le projet a pris sa forme théâtrale avec la complicité de Rémi Cotta.

Diriez-vous que ce processus a changé quelque chose en vous ?

Le fait d'en parler aussi calmement aujourd'hui me permet de constater que je suis apaisé. J'ai moins peur. Avant, le simple fait de prononcer la date du 9 mars était insupportable pour moi. Maintenant, je peux en parler. Je suis allé très loin dans l'acceptation de ce qui s'est passé, puisque je joue avec son absence sur scène. J'ai aussi eu la chance de fédérer autour du spectacle des personnes qui ont vécu la même chose, notamment via l'association "Frères et sœurs endeuillés". Me retrouver face à des gens qui me ressemblaient a été important. Enfant, je me demandais qui pouvait ressentir ce que je ressentais. Le deuil dans la fratrie est un sujet tabou. On pense d'abord à la mère, puis au père, mais ce n'est que récemment, grâce à la psychologie moderne, que l'on s'occupe des frères et sœurs.

Si vous deviez résumer la pièce en trois mots, lesquels choisiriez-vous ?

Je pense à famille, évidemment. Ensuite, pardon. C'est une façon de pardonner à mes parents de n'avoir pu faire que ce qu'ils ont pu. Je ne leur en veux pas. Et enfin, résilience. Je ne savais pas ce qu'était un enfant résilient, mais depuis, je me suis beaucoup intéressé aux travaux de Boris Cyrulnik. J'ai moi-même suivi un long parcours analytique avant de pouvoir écrire. Je tiens à préciser que je ne prends pas le public en otage pour une séance de psychanalyse ; mon analyse a été faite avant et ailleurs. Ce qui me touche, c'est de voir à quel point beaucoup de personnes se reconnaissent dans mon histoire, car nous avons tous vécu des pertes.

Avec quel message ou quelle émotion souhaitez-vous que les spectateurs repartent ?

Souvent, les gens sont très émus à la fin et m'attendent pour échanger. Ils repartent avec de l'amour. C'est la sensation que j'ai, car ils m'en donnent beaucoup, et j'espère leur en donner autant. S'ils partent avec de l'amour, cela me va.

La mise en scène est sobre, n'est-ce pas ?

Oui, c'est un spectacle d'une heure, un seul en scène. Je suis très content du travail de Rémi Cotta. La scénographie est très simple, et il y a très peu d'accessoires. Je pense qu'avec un texte comme celui-ci, que ce soit dans la mise en scène, la scénographie ou le jeu d'acteur, on ne peut pas se permettre de cabotiner. Il faut rester sur la sobririté et la justesse. La façon dont je bouge et les quelques accessoires me permettent de retrouver cette part d'enfance et de laisser la roue libre à l'imaginaire de chaque spectateur. Je crois que c'est le propre d'un spectacle : provoquer l'imaginaire.

Pour aller plus loin :

  • Spectacle : Mon petit grand frère
  • Lieu : Théâtre des 3S, 4 rue Buffon, 84000 Avignon
  • Dates : Du 5 au 26 juillet 2025 (relâche les lundis)
  • Horaire : 14h30
  • Durée : 1h00
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Article de : Mathilde Pallon
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