Accueil > Interviews > Julien Leleu : « Porgy and Bess résonne avec l’histoire des Outre-mer »

Julien Leleu : « Porgy and Bess résonne avec l’histoire des Outre-mer »

À l'occasion du Festival d'Avignon, le célèbre opéra de George Gershwin, Porgy and Bess, est présenté dans une relecture contemporaine et engagée. Rencontre avec Julien Leleu, président de l’association Les Contres Courants et adaptateur de cette version en concert scénique. Portée par les chanteurs du programme « Les Voix des Outre-mer » sous la direction artistique de Fabrice di Falco, cette création tisse un lien entre la lutte des Afro-Américains des années 1930 et les réalités des sociétés créoles contemporaines. Présenté à la chapelle du Verbe Incarné, le spectacle entend mêler exigence lyrique et parole incarnée sur les questions d'identité et de résilience.

Julien Leleu : « Porgy and Bess résonne avec l’histoire des Outre-mer »
4 Juillet 2025 à 12h58 Par Jérôme Chaudier

Pouvez-vous nous présenter votre spectacle ?

Notre spectacle est une relecture contemporaine et engagée de Porgy and Bess, l’opéra de Gershwin créé en 1935. Il prend la forme d’un concert scénique épuré, où se mêlent la puissance lyrique originale et des influences musicales et visuelles des Outre-mer. Tous les rôles principaux et les chœurs sont interprétés par des chanteurs issus du programme Les Voix des Outre-mer, afin de porter une parole vivante et incarnée sur les questions de résilience et d’identité. La scénographie est sobre, symbolique, et la mise en espace souligne la force collective de cette communauté en lutte pour la dignité.

"Porgy and Bess" est une œuvre miroir qui résonne avec les réalités des territoires d’Outre-mer. Comment cette histoire dialogue-t-elle avec les enjeux sociaux et historiques actuels ?

La marginalisation, la pauvreté, la question du destin collectif face à la violence et à l’injustice… Ces thèmes résonnent fortement avec l’histoire coloniale et post-coloniale des Outre-mer. Comme les habitants de la rue Case Nègres, nombre de communautés ultramarines ont dû développer des formes de solidarité et de créativité pour survivre et affirmer leur identité. Notre projet met en regard la lutte des Afro-Américains des années 30 et celle des sociétés créoles contemporaines, confrontées aux fractures sociales, à l’exil, et à l’héritage de la domination.

Comment votre mise en scène aborde-t-elle les questions de représentation des identités afro-descendantes et de résilience ?

Nous avons choisi une approche sobre et respectueuse, refusant les clichés folklorisants. La direction d’acteurs insiste sur la dignité, la complexité psychologique et la beauté des personnages. Le travail chorégraphique et scénique s’inspire de rituels collectifs, évoquant les traditions afro-caribéennes sans jamais les caricaturer. En confiant la narration aux artistes ultramarins eux-mêmes, nous leur donnons les moyens de s’approprier cette histoire et d’en souligner la dimension universelle.

Quel est l’impact durable du programme "Les Voix des Outre-mer" sur la diversification du paysage lyrique ?

Depuis sa création en 2017 par Fabrice di Falco et Julien Leleu, ce programme a révélé des dizaines de chanteurs professionnels et semi-professionnels issus de territoires trop longtemps invisibles. Il contribue à changer le visage des scènes lyriques, en rendant plus accessible la formation au chant classique et en valorisant la pluralité des timbres, des cultures et des récits. À long terme, il favorise une meilleure représentation des ultramarins dans les maisons d’opéra et les festivals internationaux.

En quoi ce casting offre-t-il une nouvelle énergie à l’œuvre ?

Les interprètes portent avec eux des héritages créoles, afro-caribéens et africains qui nourrissent leur rapport intime à cette histoire de lutte et d’espoir. Leur sensibilité et leur ancrage culturel apportent une sincérité vibrante, une urgence émotionnelle qui donnent un nouveau souffle à l’œuvre fondatrice de Gershwin. Le public ressent cette vitalité, cette voix collective qui fait écho à des trajectoires personnelles de transmission.

Comment l’association avec "Les Grandes Voix" sert-elle cette ambition ?

En réunissant Les Grandes Voix, qui fédèrent une excellence artistique reconnue, et Les Voix des Outre-mer, porteuses d’un renouvellement profond, nous affirmons que la diversité est indissociable de l’exigence artistique. Cette collaboration permet de donner à cette création une visibilité nationale et internationale, tout en l’inscrivant dans un projet de transmission et d’ouverture à tous les publics.

Concrètement, comment la fusion des traditions vocales ultramarines s’exprime-t-elle dans la musique de Gershwin ?

Nous avons intégré des ornementations, des nuances rythmiques et des timbres hérités des musiques afro-caribéennes, notamment dans les chœurs et certaines inflexions solistes. Certaines percussions discrètes et des couleurs harmoniques évoquent les spirituals, les complaintes créoles, et le gwo ka. Le public attentif pourra ainsi percevoir ces échos et cette respiration nouvelle dans l’architecture musicale originelle.

Comment la dynamique intergénérationnelle enrichit-elle le projet ?

Sur scène, des artistes confirmés côtoient de jeunes talents. Ce mélange crée un dialogue vivant entre expérience et fraîcheur, transmission et invention. Les plus jeunes apportent leur spontanéité, leur audace vocale et scénique, tandis que les chanteurs aguerris partagent leur rigueur et leur maîtrise stylistique. Cette alchimie rend l’ensemble plus vibrant et fédérateur.

Quelle forme précise le spectacle prendra-t-il ?

Il s’agira d’une version concert scénique, avec une mise en espace minimaliste, des éléments de scénographie symbolique (structures mobiles évoquant les cabanes) et une chorégraphie discrète. Les chanteurs évolueront en costumes stylisés, sans reconstitution réaliste, pour laisser place à l’imaginaire. La musique reste le cœur de l’expérience, portée par une intensité théâtrale.

Qu’est-ce qui rend cette œuvre accessible à un public néophyte ?

Nous avons conçu un format resserré (55 minutes) et une dramaturgie claire, recentrée sur les enjeux humains et émotionnels. La beauté immédiate des mélodies (comme Summertime), la force des personnages et la qualité des interprètes permettent une entrée directe, sans prérequis. Une médiation pédagogique accompagne le public dans cette découverte.

Quels sont les défis et richesses de présenter cette œuvre dans les DOM-TOM et en métropole ?

C’est un défi logistique et financier, car certaines scènes ultramarines ne disposent pas des infrastructures techniques habituelles de l’opéra. Mais c’est surtout une richesse incomparable : présenter Porgy and Bess dans les territoires où résonne si puissamment son message permet de réancrer l’œuvre dans des histoires vivantes, et de tisser des liens profonds avec des publics parfois éloignés du lyrique.

Pourquoi avoir choisi Avignon ?

Avignon est un haut lieu de la création scénique, reconnu pour son public curieux, exigeant et ouvert à la pluralité culturelle. Présenter notre projet ici, à la chapelle du Verbe Incarnée sous l'invitation de Marie-Pierre Bousquet et Greg Germain, c’est l’inscrire dans un dialogue fertile avec une région passionnée par la rencontre entre théâtre et musique. Nous souhaitons partager cette vision d’un opéra populaire et universel avec un public attentif aux enjeux artistiques et sociétaux.

Pourquoi votre "Porgy and Bess" serait-il l’occasion idéale de découvrir l’opéra ?

Parce que c’est une œuvre dont les airs sont célèbres, accessibles et chargés d’émotion. Parce que notre version offre un spectacle vivant, dépouillé, centré sur la voix et le récit, sans artifices intimidants. Nous promettons une expérience sensible et chaleureuse, qui prouve que l’opéra peut être profondément contemporain et humain.

Avez-vous prévu des actions de médiation à Avignon ?

Oui, nous proposerons des ateliers scolaires, des rencontres avec les artistes et des répétitions ouvertes. Ces actions permettront aux spectateurs, petits et grands, de découvrir les coulisses de la création, d’échanger avec les chanteurs et d’apprivoiser le répertoire lyrique.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les décors et les costumes ?

L’univers visuel puise dans les textures créoles : bois patinés, étoffes naturelles, pigments ocre et bleu profond. Les décors, volontairement épurés, suggèrent plus qu’ils ne représentent, et évoquent la chaleur, la précarité et la poésie d’un quartier populaire. Les costumes allient inspirations traditionnelles et modernité, pour offrir une esthétique sobre et poétique.

Quel message d’espoir souhaitez-vous laisser au public ?

Celui de la force salvatrice de l’amour et de la solidarité, qui triomphe de l’adversité. Porgy and Bess nous rappelle que, même au plus fort de l’injustice, les êtres humains trouvent la capacité de se relever et de chanter. C’est ce message d’espérance que nous voulons partager avec le public d’Avignon.

Vous avez une question ? Cliquez-ici !
Article de : Jérôme Chaudier
Partager sur : Facebook - X (Twitter) - Linkedin
Sponsorisé :
Yoko - Format carré
Sponsorisé :
Yoko - Format carré
Commentaires
Connectez-vous pour laisser un commentaire.

Aucun commentaire pour le moment.

Avignon et moi > Categorie : Interviews > Article : Julien Leleu : « Porgy and Bess résonne avec l’histoire des Outre-mer »

Recevez la newsletter Avignon et Moi

Les bons plans, critiques, sorties et actus deux fois par semaine dans votre boîte mail.

S’inscrire gratuitement