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Hamlet Take Away de Compagnia Berardi Casolari : notre avis

13 Octobre 2025 à 11h21

Marguerite Romeuf - Critique Culture

Immergée dès sa naissance dans un univers artistique par une mère danseuse et un père acteur, Marguerite Romeuf, de son nom de comédienne Marie-Line Rossetti, développe le goût et la curiosité pour la création en théâtre contemporain et classique, en danse, opéra et peinture.

« To be or FB, that is the question » !
Voilà le célèbre « To be or not to be » du monologue d’Hamlet (pièce de théâtre écrite par William Shakespeare et parue en 1623), détourné par Gabriella Casolari et Gianfranco Berardi dans ce magnifique et percutant « Hamlet take away » !
Sublime prétexte à visiter les failles de notre société tournée vers l’hédonisme, l’égocentrisme, la superficialité liée à l’image d’un soi narcissique à l’extrême.
Gianfranco Berardi nous renvoie à notre vide existentiel par le biais d’un jeu de miroirs à la fois pathétique et drôle. C’est une réussite !

Hamlet Take Away Dès son entrée, le public découvre un plateau noir, dépouillé de tout ornement, hormis des projecteurs alignés de chaque côté, dans le sens de la profondeur. Trois projecteurs ont été disposés à l’avant-scène, l’un à Jardin, l’autre à Cour, le troisième en commande au centre plateau.

Posé au sol à Jardin, un bouquet de fleurs blanches.

Côté Cour, un banc en bois, tout simple, sans dossier. Dans son prolongement, on aperçoit un tissu blanc, à même le sol, en boule. On découvrira plus tard qu’il s’agit d’une robe blanche, ou plutôt d’une sorte de combinaison ou de chemise de nuit dont la symbolique renvoie à la robe qui habillerait Ophélie.

Deux rideaux rouges ornés de franges d’or, attachés de part et d’autre par une cordelette, symbolisent une porte, en fond plateau.

Lorsqu’apparaît Gabriella Casolari, c’est une régisseuse que l’on devine. Elle s’éclipse aussitôt pour laisser place à un noir profond. Une musique retentit. Une lumière soudaine jaillit sur la porte aux rideaux rouges où Gianfranco Berardi nous offre une vision christique d’une beauté suffocante.

Gabriella reviendra, discrète et efficace, déplaçant tantôt le banc selon les besoins de la mise en scène, passant le bouquet de fleurs, la combinaison-robe d’Ophélie, tout accessoire nécessaire au jeu de l’acteur.

On assiste là à un subtil travail nous offrant l’image du théâtre dans le théâtre.

De son côté, Gianfranco Berardi, par un jeu puissant, tantôt emporté, tantôt dans la fragilité du personnage, nous livre, avec une immense générosité, le tableau d’un Hamlet des temps modernes, rebelle, impatient, traversé par la frénésie du monde digital, des réseaux sociaux, de la pornographie à portée d’oeil.

Sa proposition de jeu emprunte aux codes du Grotesque, et nous touche en plein cœur, nous secoue, nous afflige, et nous fait rire aussi. Son fort accent italien procure aux mots toute leur vibration, leur rondeur, leur bulle propulsée dans l’espace ! Un instant cela m’a renvoyée au travail d’Antonin Artaud (1896-1948), si singulier et révolutionnaire en terme de diction pour son époque.

Par le biais du texte, il retourne vers nous un miroir où nous découvrons notre « monde écrasé et surexcité par la vue et l’ouïe », où chacun cherche à tout prix à « apparaître par peur de disparaître ». « To be or selfie », nous lance l’acteur.

Dans cette vision satirique de notre société, chaque détail de jeu, d’accessoire, de choix musical, est maîtrisé à la perfection.

La proposition à la fois théâtrale et philosophique s’avère originale et pertinente.

Le tableau final referme la boucle par une très belle image, lui assis sur l’extrémité du banc, elle à ses pieds, énonçant un texte en italien, qu’il traduit au fur et à mesure. On croirait voir une Pietà inversée...
« Siamo soli
Siamo complici
Per affrontare questo viaggio ».

Mon seul regret : qu’il n’y ait eu qu’une date programmée pour ce chef-d’oeuvre !
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