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Deux jours aux Rencontres d’Arles 2025 : entre mémoire, résistance et ironie

4 Septembre 2025 à 16h00

Par : Thierry

De la gravité des récits collectifs aux quêtes plus intimes, en passant par l’humour caustique, la photographie se révèle tour à tour mémoire, critique et respiration. Dans le décor solaire d’Arles, elle confirme son pouvoir unique : bouleverser, questionner, faire réfléchir… et parfois faire rire, avec un éclat libérateur.

Deux jours aux Rencontres d’Arles 2025 : entre mémoire, résistance et ironie

Jour 1 aux Rencontres d’Arles 2025


Commencer les Rencontres d’Arles, c’est déjà se laisser happer par la ville. Ses ruelles pavées aux façades ocres, ses volets délavés, les places où bruissent les terrasses et l’éclat de lumière des quais du Rhône composent une atmosphère unique. La promenade au bord du fleuve, dans la chaleur douce du matin, installe un décor à la fois simple et majestueux. Dans ce cadre, la photographie trouve naturellement sa résonance.

Première étape : la cour Fanton, où le bureau d’accueil distribue plans et conseils. Car il faut le dire : c’est le plus grand festival photographique au monde, qui transforme la ville d’Arles en musée à ciel ouvert durant tout l’été. C’est un événement international incontournable, où se croisent grandes figures de la photographie, jeunes talents et propositions artistiques audacieuses.

Ce sont environ 160 artistes ou collectifs qui présentent leurs œuvres dans 46 expositions réparties dans 26 espaces patrimoniaux ou insolites de la ville (églises, cours, friches industrielles, jardins, galeries…).

Voici les expositions qui ont retenu particulièrement mon attention :

Diana Markosian : l’intime comme contrepoint



L’exposition « Père » de Diana Markosian propose une respiration plus intime. Entre archives familiales, photographies documentaires et mises en scène, l’artiste explore l’absence et le lien paternel. Dans un festival où dominent les récits collectifs et politiques, son travail agit comme un contrepoint : une quête intérieure qui rappelle que la photographie peut aussi réparer la mémoire et transmettre des histoires personnelles.

Letizia Battaglia : l’intensité du réel



Autre temps fort : Letizia Battaglia, « J’ai toujours cherché ma vie ». La rétrospective rend hommage à la photographe sicilienne disparue en 2022. Ses clichés de Palerme, de la mafia, des femmes et des enfants révèlent la violence autant que la dignité des visages saisis. « Je veux résister avec un sourire, avec joie… je suis tenace », disait-elle. Cette ténacité traverse l’exposition : le regard frontal, la vie comme combat, l’art comme acte de résistance. On en sort bouleversé et grandi.

Agnès Geoffray : réinventer les héroïnes



Avec « Elles obliquent, elles obstinent, elles tempêtent », Agnès Geoffray réhabilite celles que l’histoire a souvent traitées de « déviantes ». Ici, ces figures féminines deviennent héroïnes : insoumises, obstinées, résistantes. Geoffray construit une mythologie alternative où le stigmate se transforme en puissance, et où la différence s’affirme comme un acte d’émancipation.

MYOP : la force du témoignage



Le collectif MYOP (Mes Yeux Objets Patients) rappelle la fonction essentielle de la photographie : témoigner. Leurs images plongent dans les zones sombres de l’humanité — conflits, violences, injustices — avec une gravité sans complaisance. Pas de sensationnalisme, mais une lucidité qui dérange et réveille. Une exposition nécessaire, qui place la photographie au service du regard critique.

Carine Krecké : brouiller la frontière



À la Chapelle de la Charité, Carine Krecké propose « Perdre le nord ». Cette enquête artistique sur la guerre en Syrie brouille volontairement les frontières entre réel et fiction, mêlant images satellites, courts-métrages et textes. La scénographie labyrinthique désoriente, mais elle souligne avec force l’instabilité de nos représentations face à la violence contemporaine.
Kourtney Roy : le rire comme arme, mon coup de cœur de la journée

Et puis, le souffle joyeux et ironique de la journée : Kourtney Roy, avec « La Touriste ». Ses photographies colorées, volontairement kitsch, revisitent les clichés du voyage et de l’exotisme. Derrière le rire suscité par ces mises en scène extravagantes, Roy interroge nos propres comportements de vacanciers et les artifices du tourisme de masse.

La vidéo associée, Slice from Heaven, ajoute une touche savoureuse. Une femme en peignoir, posée près d’une piscine, incarne à elle seule un luxe absurde et fragile. La scène, drôle et dérangeante, m’a évoqué l’univers d’Absolutely Fabulous : même goût pour l’extravagance fatiguée, même ironie mordante sur les excès du glamour. On rit, certes, mais la mélancolie affleure, comme si derrière la comédie se glissait la solitude universelle.

Jour 2 aux Rencontres d’Arles 2025



Matin doux dans le quartier de la Roquette



Après une nuit réparatrice dans le quartier de la Roquette, véritable petit village dans la ville avec ses ruelles étroites, ses façades colorées et son atmosphère à la fois populaire et bohème, la journée commence paisiblement. Direction la place de la République : un café pris en terrasse dans la fraîcheur du matin, au calme, permet d’élaborer le programme dense de ce dernier jour d’immersion photographique.

Espace Van Gogh : trois univers



Premier arrêt, l’Espace Van Gogh, ancien hôpital à l’architecture méditerranéenne, dont le cloître fleuri reste l’un des lieux les plus charmants du festival. Trois expositions s’y succèdent.

Erica Lennard, « Les femmes, les sœurs » : une galerie sensible où la complicité féminine se décline dans des portraits d’une grande douceur, et où l’artiste sublime la sensualité.

Le monde de Louis Stenner : une plongée dans un univers singulier, mêlant poésie visuelle et exploration de l’intime. L’artiste humaniste nous livre ici des portraits saisissants, notamment dans des scènes magnifiques à Paris et New York.

Tond Hiddo, « Les présages d’une lueur intérieure » : une révélation. Dans ses images baignées d’une lumière presque mystique, Hiddo parvient à capter ce moment fragile où le quotidien se transforme en vision intérieure. Les cadrages subtils, l’étrangeté des atmosphères, tout concourt à en faire une exposition d’une intensité rare. Une pure merveille. On a beaucoup de mal à repartir. Mon coup de cœur de la journée !

Des églises aux cryptoportiques



Quelques pas suffisent pour rejoindre l’église des Trinitaires et son exposition « Futurs ancestraux », où traditions et imaginaires se conjuguent pour interroger les héritages à venir, mais aussi dénoncer la construction des stéréotypes, la silenciation des minorités et les violences subies. Puis l’église Saint-Anne accueille « On Country », qui rend hommage aux territoires et cultures aborigènes, avec une approche respectueuse et engagée.

Sous l’hôtel de ville, dans les mystérieux cryptoportiques, se déploie la fascinante exposition de Batia Suter. La scénographie envoûtante, projections fluides et jeux de transparence transforment l’espace antique en un véritable théâtre d’images. Le spectateur se retrouve immergé dans une expérience sensorielle qui redéfinit le rapport à la photographie.

Portraits, mémoire et mode



À la Fondation Manuel Rivera Ortiz, deuxième coup de cœur pour « Witches in Exile ». Ces portraits de femmes accusées de sorcellerie et bannies de leur communauté dégagent une intensité bouleversante : dignité, douleur et force habitent chaque visage.

Cap ensuite vers la spectaculaire tour Luma, où une exposition remarquable est consacrée à David Armstrong. Sont déployés des portraits sensibles, à la fois fragiles et lumineux, emblématiques d’une époque. Une jeunesse rebelle et exubérante dans une époque où l’épidémie de SIDA explose et où la liberté devient si fragile.

À la Mécanique Générale, deux propositions complémentaires : pour les amateurs de mode, un hommage vibrant à Yves Saint Laurent, où la photographie révèle la puissance sculpturale des tissus et des silhouettes. Pour les passionnés de formes, « Construction, reconstruction, reconstruction » séduit par son élégance graphique : lignes, volumes et rythmes y composent une véritable architecture visuelle.

Dernières étapes



À deux pas de la gare, le lieu alternatif Ground Control accueille l’exposition de Camille Lévêque, « L’absence du père ». Ici, le manque paternel n’est pas seulement une histoire intime : il devient métaphore d’un système patriarcal qui structure les récits familiaux et sociaux, en assignant au père la place centrale de figure fondatrice. Lévêque déconstruit cette évidence en donnant à voir ce que produit son absence : un espace de vulnérabilité, mais aussi une possibilité d’émancipation. Ses images fragmentées, mêlant archives et créations, témoignent de la difficulté à reconstituer une mémoire sans ce repère imposé et de la force qu’il y a à inventer d’autres filiations, d’autres manières d’habiter sa propre histoire. Une réflexion à la fois politique et sensible, qui touche par sa justesse.

Enfin, retour à l’église Saint-Blaise pour clore cette édition avec Nan Goldin et son « Syndrome de Stendhal ». Dans ce diaporama envoûtant, où se mêlent chefs-d’œuvre classiques et visages intimes, Goldin transcende l’image en expérience émotionnelle totale. Une conclusion magistrale.
Cette deuxième et dernière journée aux Rencontres d’Arles fut à l’image du festival : foisonnante et contrastée. De la douceur des sœurs d’Erica Lennard aux visions lumineuses de Tond Hiddo, de la scénographie hypnotique de Batia Suter à l’hommage vibrant à Yves Saint Laurent, en passant par les portraits bouleversants de Witches in Exile et la puissance immersive de Nan Goldin, chaque étape a ajouté une nuance au kaléidoscope arlésien.

Mais au-delà de la richesse esthétique, ce parcours a surtout souligné la diversité des voix et des regards. La place des femmes artistes y est affirmée, tout comme la représentation des identités LGBTQIA+ : qu’il s’agisse des univers de David Armstrong ou de Nan Goldin, les histoires queer, longtemps marginalisées, trouvent ici un espace de reconnaissance et de célébration. Ce sont autant de récits qui élargissent notre compréhension du monde et redonnent visibilité à celles et ceux que l’histoire a trop souvent relégués dans l’ombre.

Quitter Arles, c’est emporter avec soi une mosaïque d’images, d’émotions et de récits. Ici, la photographie ne se contente pas de montrer : elle éclaire, interroge, libère et ouvre la voie à une pluralité de futurs possibles.

Informations



Les Rencontres de la photographie à Arles du 7 juillet au 5 octobre
Tarifs : billets individuels entre 4,50 € et 15 € par exposition ; forfaits pour accéder à toutes les expositions : 32 € à 42 €. Entrée gratuite pour les moins de 18 ans.
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Article de : Thierry
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