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Rencontre avec Christophe Luthringer : « J’ai voulu voir ce qui se passe quand le verbe de Shakespeare rencontre le en vrai d’aujourd’hui »

À l'occasion du Festival d'Avignon, le metteur en scène et adaptateur Christophe Luthringer présente "HAMLET, la fin d'une enfance" au Théâtre Le Cabestan. Dans cette relecture contemporaine, un adolescent de 19 ans, muré dans sa chambre après la mort de son père, transforme son univers intime en scène de théâtre pour y jouer le chef-d'œuvre de Shakespeare. Christophe Luthringer nous dévoile les intentions derrière ce spectacle qui confronte le verbe shakespearien à la culture adolescente d'aujourd'hui, où le théâtre devient un puissant outil de résilience.

Rencontre avec Christophe Luthringer : « J’ai voulu voir ce qui se passe quand le verbe de Shakespeare rencontre le en vrai d’aujourd’hui »
26 Juillet 2025 à 18h14 Par Mathilde Pallon

Avignon et Moi : Bonjour Christophe Luthringer. Vous présentez "HAMLET, la fin d'une enfance" au Théâtre Le Cabestan. Pouvez-vous nous parler de cette adaptation ?

Christophe Luthringer : La pièce est tirée du Hamlet de William Shakespeare, dont j'ai fait l'adaptation. C'est l'histoire d’un jeune homme de 19 ans, Hamm, qui a perdu son père il y a à peine deux mois et dont la mère a déjà retrouvé quelqu'un. Cette situation lui est insupportable, alors il s'enferme dans sa chambre et ne veut plus en sortir. Là, il se met à rejouer Hamlet avec les objets qui l'entourent : son Dark Vador, une marionnette que son père, lui-même marionnettiste, lui avait offerte... Petit à petit, sa chambre devient la scène, et le théâtre se transforme en un moyen d'exprimer ses colères et tout ce qu'il a sur le cœur. C'est le théâtre qui se pose comme un moyen de résilience.

Pourquoi avoir choisi d'adapter cette pièce de Shakespeare aujourd'hui ?

Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est le contraste entre le vocabulaire d'aujourd'hui – "en vrai", "genre", "je te jure" – et celui, si riche, d'Hamlet. Je voulais voir comment ces deux langages pouvaient se confronter. À l'époque de Shakespeare, il y avait un mot pour chaque émotion, ce qui permettait d'exprimer précisément ce que l'on ressentait. Historiquement, le clergé et la royauté avaient compris que maîtriser le vocabulaire donnait le pouvoir sur les gens. En perdant notre vocabulaire, nous perdons une part du pouvoir que nous avons sur nous-mêmes.

Dans la pièce, lorsque le jeune Hamm s'exprime avec ses mots d'aujourd'hui, puis se met à déclamer le texte d'Hamlet, le contraste révèle la différence des moyens d'expression. J'aimerais, à travers cela, que les spectateurs aient envie de retrouver la richesse de ce vocabulaire, qui est à la fois poétique, beau et puissant, surtout avec les mots de Shakespeare.

Le comédien Victor Duez porte seul ce texte. Comment s'incarne cet Hamlet moderne ?

Victor Duez est un acteur magnifique, avec une diction superbe. Il porte un Hamlet assez rock'n'roll, car la pièce est conçue comme une balade musicale. Le personnage écoute aussi bien les Pink Floyd, Björk que Mozart ou Gustav Mahler. Il y a un côté un peu vintage, mais il est aussi ancré dans son époque. Il interagit avec un ami sur FaceTime, il reçoit un appel vidéo de sa petite amie qui, dans sa propre vie, rencontre des problématiques similaires à celles d'Ophélie. Tout ce petit monde se met à jouer ensemble, et la pièce de Shakespeare devient une métaphore de ce que le personnage principal vit dans sa propre chambre.

Quels ont été les défis de cette adaptation ? S'agissait-il de rendre la langue de Shakespeare à nouveau accessible ?

Si par défi, on entend se demander si Hamlet est encore assez moderne pour être entendu aujourd'hui, alors oui. L'un des enjeux est de faire en sorte que cette œuvre parle encore. Et je pense que oui. Je ne suis pas sûr que beaucoup de jeunes de 20 ans aient lu Shakespeare, même s'ils en ont entendu parler. Si ce spectacle peut leur donner envie de le lire, alors la gageure est là.

Les thèmes sont intemporels. Quand Hamlet dit "Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark", cela résonne aujourd'hui. On parle de l'histoire d'un frère qui tue le roi, son propre frère, pour prendre le pouvoir. C'est d'ailleurs l'histoire du Roi Lion, qui est inspiré d'Hamlet. Ces dynamiques de pouvoir, de folie des hommes, traversent les âges. Les grandes tragédies politiques de Shakespeare trouvent un écho dans notre actualité.

Comment vous est venue l'idée d'intégrer des éléments de la culture populaire moderne comme Dark Vador ou un poster d'Eminem ?

En tant que metteur en scène, on transpose une partie de soi, de ses propres souvenirs et nostalgies. Pour construire cet univers, j'ai fait une sorte d'introspection en visitant les chambres de nombreux adolescents. J'ai été fasciné de voir comment différentes époques cohabitent dans leur monde intime. J'ai rencontré des jeunes de 16 ans qui chantaient Dalida ! J'ai donc essayé de créer une pliure du temps entre ma propre époque et la leur. Cela a donné ce mélange : Eminem, Pink Floyd, le punching-ball, mais aussi Instagram, TikTok, une table de mixage et une guitare. C'est une observation de ce qui plaît aux adolescents, mélangée à mes propres goûts.

Si vous deviez résumer la pièce en trois mots ?

Je choisirais : énergie, beauté du langage et, je le souhaite, processus d'identification.

Au-delà de la redécouverte du langage, quel message souhaitez-vous transmettre au public ?

J'ai envie que l'on puisse entrevoir certaines problématiques de l'adolescence, un univers intime auquel on a rarement accès. Je souhaite aussi que la pièce agisse comme un miroir de notre temps. Il y a une scène de marionnettes, qui correspond au "théâtre dans le théâtre", où est rejoué le meurtre du roi. Elle illustre comment les schémas se répètent, comment nous sommes conditionnés et comment les choses ne changent pas tant que nous ne changeons pas nous-mêmes. Et plus simplement, j'espère donner aux gens l'envie de lire ou de relire Shakespeare.

La scénographie semble donc jouer un rôle central...

Oui, elle est très immersive. Nous sommes vraiment dans une chambre d'adolescent, avec son désordre, son bureau, son ordinateur. Le fond de la scène est un grand graffiti, réalisé par l'artiste Lucie Gautier, qui représente un adolescent dont la tête est presque contrainte par le mur. Cela symbolise l'enfermement du personnage, un thème central puisque Hamlet lui-même dit : "Le Danemark est une prison". La scénographie fait le lien direct entre l'enfermement physique dans la chambre et l'enfermement mental et émotionnel du personnage.

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Article de : Mathilde Pallon
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