Rencontre avec Cécile et Sarah, qui présentent au Festival d'Avignon une relecture audacieuse et résolument moderne du George Dandin de Molière. La pièce, qui place le personnage d'Angélique au cœur de l'intrigue, se joue au Théâtre du Tremplin, dans la salle Molière, du 5 au 26 juillet à 19h15. Portée par deux équipes de comédiens, la production se tiendra sans aucune relâche.
Avignon et Moi : Bonjour Cécile, bonjour Sarah. Pourriez-vous nous présenter la pièce en quelques mots ?
Cécile et Sarah : George Dandin est l'histoire d'un riche paysan qui, aspirant à la noblesse, décide d'épouser Angélique, la fille d'un couple de nobles désargentés. Il achète littéralement sa femme et son titre. La pièce s'ouvre sur un Dandin profondément humilié par ses beaux-parents, car il ne maîtrise pas les codes de l'aristocratie. Sa femme, Angélique, malheureuse dans ce mariage imposé, ne l'aime pas. Il tente par tous les moyens de se défaire d'elle, sans succès. S'ajoute à cela l'arrivée d'un séducteur, Clitandre, figure traditionnelle chez Molière, qui vient courtiser Angélique.
Parmi toutes les œuvres de Molière, pourquoi avoir choisi celle-ci ?
Pour nos débuts en tant que compagnie, nous voulions monter un Molière, qui reste une valeur sûre et que nous aimons profondément. Après plusieurs lectures, George Dandin nous a véritablement marquées, notamment parce qu'elle est moins jouée que d'autres. Mais la raison principale est le discours que Molière prête à Angélique. Elle prononce des paroles merveilleuses sur la condition féminine et les mariages forcés. C'est ce thème qui nous a convaincues : nous avions envie de parler d'Angélique, de mettre en lumière ce personnage.
Quels ont été les défis de la mise en scène pour transposer les mots de Molière en spectacle vivant ?
Nous avons fait des partis pris forts. Le premier est une scénographie minimaliste, avec un pendrillon central peint par une artiste. L'idée fondatrice est celle d'une volière où tous les personnages sont prisonniers. La basse-cour y côtoie la haute cour, mais personne n'est libre : ni les nobles, esclaves de leur statut et de leur apparence, ni George Dandin, incapable de s'élever au-dessus de sa condition, ni Angélique, mariée de force, ni même les serviteurs.
Cette allégorie de la volière se décline pour chaque personnage : les nobles, Monsieur et Madame de Sotenville, sont un paon et un cygne blancs, Dandin est un dindon, Angélique une petite fauvette qui peine à trouver son espace de liberté. Clitandre, que nous avons transformé en libertin, devient un oiseau de proie, un faucon qui jette son dévolu sur elle. Les serviteurs, enfin, sont un pigeon et une oie.
Un autre axe de travail a été le duo comique des Sotenville. Ils sont complètement prisonniers de leur image, portant en permanence un masque d'eux-mêmes. Ils entrent et sortent de scène sur une planche à roulettes, toujours en pause, comme s'ils attendaient d'être pris en photo. Ce sont des personnages foncièrement faux, qui se donnent eux-mêmes en spectacle.
Vous avez donc souhaité conserver la dimension comique de la pièce, parfois interprétée comme un drame ?
Absolument. Il est vrai que depuis les années 50, la pièce a souvent été montée comme un drame, car le destin de Dandin est tragique. Mais pour nous, cela reste une comédie de Molière. Nous tenions à conserver l'aspect farce et l'héritage de la commedia dell'arte. Pour cela, nous avons suivi un stage avec Ela Yelo Sévich, qui nous a aidées sur toute la partie corporelle, le mime, afin de renforcer ce côté burlesque et décalé qui nous plaît tant.
Cette modernité se retrouve-t-elle dans d'autres aspects du spectacle ?
Oui. La pièce originale était une comédie-ballet avec des musiques de Lully, imposées par le roi, qui n'avaient aucun lien avec l'intrigue. Nous avons remplacé cela par des musiques des années 60, 70 et 80. Ce n'est pas contemporain de notre époque, mais c'est un décalage certain par rapport à Molière.
Mais notre plus grand parti pris, c'est de faire d'Angélique la véritable héroïne. Toute l'histoire est vue à travers son prisme. C'est une jeune fille mariée de force, violentée par son mari, qui voit l'arrivée de Clitandre comme une bouffée d'air. Elle est d'abord heureuse d'être séduite, une expérience qu'elle n'a jamais connue. Finalement, elle s'aperçoit qu'il n'est qu'un dangereux prédateur et est également désabusée de ce côté-là. La question qui reste est : parviendra-t-elle enfin à trouver sa liberté ? Pour le savoir, il faut venir voir la pièce.
Si vous deviez résumer la pièce en trois mots chacune ?
Cécile : Engagée, décalée et farce.
Sarah : Inclusive, féministe et comédie.
Quel sentiment souhaitez-vous laisser au public à l'issue de la représentation ?
Nous voulons avant tout que le public ait ri, qu'il se soit amusé. Mais nous souhaitons aussi qu'il reparte avec une sensation ambivalente concernant Dandin. Le spectateur doit se dire : "Ce n'est pas un personnage sympathique, mais ce qui lui arrive n'est pas drôle... C'est un rustre, mais on le plaint...". On le plaint, tout en sachant qu'il l'a un peu cherché, et que la personne la plus à plaindre dans l'histoire, c'est finalement Angélique. Si nous arrivons à faire ressentir cette complexité, nous aurons gagné notre pari.
Pour finir, quelques informations pratiques ?
Nous sommes six comédiens sur scène pour une durée d'1h10. Le spectacle s'adresse à tous les publics. Il y a un petit côté grivois, propre à la comédie, mais qui ne sera pas forcément perçu par les plus jeunes. La pièce offre plusieurs niveaux de lecture.
Recevez la newsletter Avignon et Moi
Les bons plans, critiques, sorties et actus deux fois par semaine dans votre boîte mail.
S’inscrire gratuitement