Sous le régime de Pétain, l'avortement n'est pas une question de choix, mais un crime contre la sûreté de l'État. C'est dans cette France de la morale imposée et de la répression que la pièce ancre le récit de Marie-Louise Giraud. Française sans histoire, elle vient d'abord en aide à sa voisine qui souhaite faire « passer le bébé », son mari ayant été envoyé au STO. Puis, une connaissance de cette dernière se présente à son tour chez Marie-Louise pour se faire avorter. Prise dans une spirale infernale, la « faiseuse d'anges » enchaîne les actes interdits contre de l'argent. En parallèle, un commissaire reçoit une lettre anonyme dénonçant les agissements de cette femme peu discrète. Une enquête est alors ouverte, scrutant les dépenses du foyer, les fréquentations et le voisinage. Pendant ce temps, le mari, revenu invalide de Casablanca, semble profiter de la situation et se réjouit de pouvoir boire sans compter.
Face au besoin vital de se débarrasser du fœtus et à la peur du « qu'en-dira-t-on », les femmes viennent de plus en plus nombreuses voir Marie-Louise. L'affaire finit inévitablement par éclater. Pour Pétain, « l'avortement est un fléau national ». Qui viendra en aide à cette « femme immorale au goût de l'argent facile » ?
Le public est littéralement embarqué, suivant avec la même rigueur l'enquête policière et le destin de Marie-Louise, qui s'entremêlent comme la trame d'un film. Les manigances s'enchaînent, les femmes défilent sur un bureau tournoyant, élément de décor central et indispensable. Animé par un mécanisme ingénieux, celui-ci pivote à chaque fin de scène en guise de transition, se transformant de bureau du commissaire en table d'opération clandestine. La pièce ne prend aucun parti, se contentant de retracer les faits et de mettre en lumière les questionnements de l'époque grâce à l'interprétation des comédien(ne)s.
La France de Pétain condamne facilement, mais qu'en est-il lorsqu'un tel drame touche votre propre fille ou votre sœur ? De quel droit ôte-t-on la vie à un être humain ? Qui sommes-nous pour juger ? À l'aube du XXIe siècle, cette pièce trouve une résonance indéniablement actuelle à travers ces interrogations qui divisent toujours, et nous rappelle une vérité simple : il est toujours plus facile de juger ce qui arrive aux autres. Une pièce essentielle, dont les résonances du passé dialoguent avec les turbulences du présent, en particulier outre-Atlantique.
Recevez la newsletter Avignon et Moi
Les bons plans, critiques, sorties et actus deux fois par semaine dans votre boîte mail.
S’inscrire gratuitement