Au cœur de Paris occupé, une femme, attachée de conservation, a mené l'une des plus discrètes et capitales missions de la Résistance. Au Théâtre Buffon, la pièce Rose Valland, l'héroïne de l'ombre retrace le combat de cette femme qui, depuis le musée du Jeu de Paume, a documenté le pillage méthodique des collections juives par les nazis. Ce spectacle, d'une grande finesse historique, est une plongée dans la mécanique de la spoliation et un hommage au courage de Rose Valland.
Le décor suggère intelligemment le bureau de Rose Valland au sein du musée du Jeu de Paume, transformé durant l'Occupation en sinistre centre de tri. C'est ici, dans cette antichambre des convoitises du Reich, que les collections spoliées, notamment celles des grandes familles juives comme les Rothschild ou les Rosenberg, étaient inventoriées avant de partir pour l'Allemagne. Les noms des châteaux de Chambord ou de Cheverny, qui servirent de dépôts initiaux, ne sont pas sur des accessoires, mais dans le verbe de la comédienne. Leur évocation n'en est que plus forte, reposant sur la puissance du récit et la mémoire du spectateur.
La grande force du spectacle est sa rigueur, qui doit beaucoup aux recherches fondamentales d'historiennes comme Emmanuelle Polac. La pièce expose avec une clarté redoutable le système du pillage institutionnalisé par l'ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg). On comprend que le Jeu de Paume n'était pas un simple entrepôt, mais une véritable plateforme où Hermann Goering lui-même venait plus de vingt fois choisir des œuvres pour sa collection personnelle. Le texte met en lumière l'idéologie perverse du IIIe Reich, qui qualifiait l'art moderne d'« art dégénéré » tout en s'appropriant les maîtres anciens avec une cupidité sans limites.
La comédienne incarne une Rose Valland tout en intériorité. Sa résistance n'est pas celle des armes, mais celle de l'intelligence et de la mémoire. Son savoir, acquis aux Beaux-Arts de Lyon et à l'École du Louvre, devient son arme. Chaque soir, elle retranscrit de mémoire dans ses carnets les informations sur la provenance et la destination des œuvres, constituant un trésor d'archives qui sera décisif à la Libération et encore aujourd’hui.
La performance est d'une sobriété poignante, montrant une femme simple, habitée par le sens de sa mission et une forme de « vergogne » face à ce déshonneur. Elle dialogue avec les chevalets vides, fantômes des chefs-d'œuvre disparus, et redonne vie, par la seule force de sa conviction, à l'âme des tableaux volés.
C'est une magistrale leçon d'histoire du patrimoine et un théâtre d'une intelligence rare, qui prouve que la plus grande des résistances est parfois celle d'un simple crayon sur un carnet.
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