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Rencontre avec Elisa Sitbon Kendall pour sa pièce « Monstres » : « La question de la légitimité de l'artiste est encore centrale aujourd'hui »

À l'occasion du Festival Off d'Avignon, Elisa Sitbon Kendall, auteure et metteuse en scène, présente sa pièce "Monstres" à La Factory. La pièce met en scène quatre jeunes comédiens dont le projet de spectacle sur un migrant haïtien, inspiré de l'œuvre de Simone et André Schwarz-Bart, fait voler en éclats leurs certitudes et soulève des questions brûlantes sur la légitimité de l'artiste et l'appropriation culturelle. Elle nous en dévoile les origines et les enjeux.

Rencontre avec Elisa Sitbon Kendall pour sa pièce « Monstres » : « La question de la légitimité de l'artiste est encore centrale aujourd'hui »
14 Juillet 2025 à 23h22 Par Mathilde Pallon

Avignon et Moi : Bonjour Elisa. Pouvez-vous nous présenter votre pièce, "Monstres" ?

Elisa Sitbon Kendall : C'est l'histoire de quatre jeunes comédiens qui essaient de créer leur prochain spectacle. L'un d'eux, Noé, a été très touché par l'histoire d'une femme noire, inspirée de l'œuvre de Simone Schwarz-Bart, et veut la raconter. Pendant les répétitions, un malaise s'installe et une dispute éclate, car on questionne sa légitimité à bien raconter cette histoire, étant donné que c'est un jeune homme blanc d'une vingtaine d'années. La pièce parle donc d'appropriation culturelle, d'identité, et de la légitimité de l'artiste à raconter une histoire qu'il n'a pas vécue.

Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet en particulier ?

C'est une question que je me suis posée lorsque j'étais au Cours Florent. Je voyais la jeunesse se poser ces mêmes questions, sans forcément avoir les outils pour les appréhender. Je trouvais que la façon dont le sujet de l'appropriation culturelle était traité sur les réseaux sociaux ou dans les médias restait en surface et était assez polarisante. L'élément déclencheur a été ma découverte du couple d'auteurs, Simone et André Schwarz-Bart : elle, autrice guadeloupéenne, et lui, juif rescapé de la Shoah. Ils ont dédié leur œuvre à créer un dialogue entre leurs peuples respectifs. Dans les années 70, André a écrit un livre sur l'esclavage et il a été immédiatement ostracisé, sa légitimité a été questionnée. Sa femme raconte dans une interview qu'il a été très touché par la critique et s'est mis en retrait de la scène littéraire à cause de ça. Elle dit : "Je crois que mon mari est mort de chagrin après." J'ai trouvé cette histoire bouleversante. On se posait déjà ces questions il y a 50 ans, sans qu'on ait, je trouve, gagné en profondeur aujourd'hui. Je me suis dit qu'il y avait une urgence à traiter ce sujet.

La pièce apporte-t-elle des réponses à ces questions complexes ?

Pas forcément. En creusant le sujet, en discutant avec des spécialistes, des sociologues et même mes comédiens, je me suis rendu compte que je pouvais comprendre tous les points de vue. Les questions les plus intéressantes n'ont pas forcément de réponse. Je voulais toucher cette nuance et dépolitiser ces questions, qui le sont devenues énormément, alors qu'il y a des histoires humaines derrière. Raconter ces histoires humaines m'intéressait beaucoup plus. C'est une pièce qui pose la question de l'identité, de la mouvance de nos identités, mais aussi de l'accès et du privilège.

Quels ont été les défis durant l'écriture et le travail avec les comédiens ?

J'ai commencé à écrire en 2020, à partir de mon ressenti, de mon histoire. Je suis juive d'origine tunisienne, je suis blanche, je n'ai pas le même vécu qu'une personne racisée. J'ai donc poussé l'histoire jusqu'à un certain point, puis il y a eu un travail de réécriture avec l'une de mes comédiennes, Olenka Ilunga, qui m'a beaucoup aidée à approfondir le sujet de par son expérience. L'idée est de confronter les points de vue pour proposer au spectateur une expérience où il peut entrer avec une opinion, et en ressortir en ayant intégré le point de vue de l'autre.

Quels seraient les trois mots pour définir la pièce ?

Légitimité et identité, forcément.

Avec quoi souhaitez-vous que les spectateurs repartent après la représentation ?

Je souhaite qu'ils repartent avec des questions, mais bien posées, et avec un contexte pour chaque possibilité de réponse. J'aimerais aussi qu'ils emportent avec eux de belles images théâtrales, car nous avons beaucoup travaillé l'esthétique cette année.

La pièce a déjà eu plusieurs vies. Pouvez-vous nous retracer son parcours ?

J'ai commencé l'écriture en 2020. La pièce a d'abord été mon travail de fin d'études au Cours Florent en 2022. Ensuite, nous l'avons jouée dans un petit théâtre parisien, puis au Lavoir Moderne Parisien en juin 2024, et déjà à Avignon l'été dernier. La version que nous présentons cette année est une nouvelle création.

Qu'est-ce qui a changé dans cette nouvelle version ?

Je suis partie de deux postulats. D'abord, je voulais une jeunesse au plateau, avec son franc-parler, sa légèreté, son humour, car je trouve qu'elle est confrontée directement à ces questions. Ensuite, pour parler de la fluidité de nos identités, j'avais envie d'une scénographie mouvante. J'ai travaillé avec le scénographe Bastien Forestier, et le résultat est très aquatique, avec des miroirs déformants, un sol miroitant... Avec les lumières de Gaspard Gauthier, cela crée quelque chose qui ressemble bien à la notion d'identité : c'est fluide, mouvant, et c'est beau. Il y a aussi deux nouveaux comédiens, Eugène Marcuse et Robert Moundi, et une création sonore retravaillée.

Donc, c'est la même pièce que l'année dernière, mais en mieux ?

Peut-être pas "mieux", mais en tout cas complètement différente. La création est un moment précieux et je me sens chanceuse de pouvoir créer. J'ai donc voulu apporter une nouvelle patte, avec de nouvelles collaborations, pour créer quelque chose de nouveau. C'est ma version la plus aboutie, oui.

MONSTRES

  • De et mise en scène : Elisa Sitbon Kendall
  • Avec : Bonnie Charlès, Olenka Ilunga, Eugène Marcuse, Robert Moundi
  • Lieu : LA FACTORY - Salle Tomasi, 4 rue Bertrand, Avignon
  • Dates : Du 5 au 26 juillet 2025
  • Relâches : les 8, 15, 22 juillet
  • Horaire : 17h45
  • Durée : 1h10
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Article de : Mathilde Pallon
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