Comment l'art peut-il crier quand l'Histoire impose le silence ? La Compagnie Miranda, après le succès de La Délicatesse, s'empare d'un autre roman de David Foenkinos pour livrer, au Théâtre du Balcon, le portrait de l'artiste Charlotte Salomon. Portée par une mise en scène sensible, la pièce retrace le destin de cette jeune peintre juive, de Berlin à son refuge en France, jusqu'à sa déportation. Ce spectacle est une immersion dans un combat où créer devient l'ultime acte de résistance.
Sur le plateau, quelques objets suffisent à convoquer une vie. Des valises anciennes, un lit en fer forgé, un piano dont les notes égrènent la mélodie d'une existence brisée. Nous ne sommes pas seulement au théâtre, mais dans la mémoire même de Charlotte Salomon.
L'adaptation de Thierry Surace, qui signe aussi la mise en scène, est un modèle d'équilibre. Elle évite le piège de l'hommage pour faire de cette histoire tragique une véritable "ode à la vie". On suit le parcours de Charlotte, de son enfance à Berlin, marquée par une malédiction familiale où les femmes se jettent par la fenêtre, à son exil sur la Côte d'Azur où, sentant l'étau nazi se resserrer, elle s'attelle à son œuvre : Vie ? ou Théâtre ?.
La force de la pièce réside dans sa scénographie, qui fusionne le réel et la création. Les peintures de Charlotte Salomon ne sont pas un simple décor ; projetées, elles deviennent des partenaires de jeu. Les costumes semblent parfois s'être échappés des gouaches de l'artiste. Ainsi, cette idée donne corps au projet même de Charlotte : transformer sa vie en théâtre pour échapper à la folie des autres voire à la sienne.
La pièce réussit à faire naître l'émotion sans jamais être pathétique. L'humour apparaît dans les souvenirs d'enfance, avant que l'Allemagne nazie n'écrase tout sur son passage. La fenêtre, objet scénique central, devient un lien terrible et poétique entre les vivants et les morts. Elle représente autant l'évasion que le suicide.
On ressort de ce spectacle profondément touché par la force de cette jeune femme. Face à la barbarie, Charlotte a opposé une frénésie créatrice pour que son existence ne soit pas niée. Sa rage d'exister devient éternelle à travers ses œuvres.
On quitte la salle, l'esprit encore peuplé de ses couleurs. Par son art, Charlotte a définitivement triomphé de l'oubli.
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