À l'occasion du Festival d'Avignon, le théâtre du Collège de la Salle accueille la pièce Qu'aurions-nous fait à sa place ?, écrite par Stéphanie Aten. Le spectacle retrace le parcours hors du commun de Noëlla Rouget, résistante déportée à Ravensbrück qui, des années après la guerre, fit gracier l'homme qui l'avait dénoncée. Nous avons rencontré l'une de ses interprètes, Marie-Christine Garandeau, pour évoquer cette figure historique et la résonance de son message aujourd'hui.
Avignon et Moi : Pourriez-vous nous présenter la pièce ?
Marie-Christine Garandeau : Ce spectacle retrace la vie de Noëlla Rouget, une résistante qui fut dénoncée, emprisonnée, puis déportée au camp de Ravensbrück en 1943 où elle est restée quatorze mois. Libérée en avril 1945, elle en est revenue pesant trente-deux kilos. Elle pensait mourir, mais elle a été accueillie en Suisse dans des maisons d'accueil créées par Geneviève de Gaulle pour que ces femmes se refassent une santé. Finalement, elle est décédée en 2020, à l’âge de cent-un ans.
La grande particularité de cette femme est qu'après tous les traumatismes du camp et les blessures endurées, elle a demandé en 1965 la grâce de son bourreau. Celui-ci, condamné à mort par contumace, s'était caché pendant dix-sept ans. Quand il a été retrouvé et que son procès a eu lieu, elle l'a formellement reconnu, puisque c'est lui qui était venu la chercher chez ses parents. Elle a demandé sa grâce au général de Gaulle et l'a obtenue, et ce, bien que ce même homme ait fait fusiller son jeune fiancé de vingt-deux ans en 1943. Cette histoire est authentique de A à Z. C'est une grande humaniste qui nous dit : « Résistez, luttez, mais ne haïssez pas. » Elle veut que la spirale de la haine s'arrête. C'est un message humaniste hors du commun.
Vous avez donc présenté le spectacle à sa famille ?
Oui, nous avons eu la validation de ses enfants. D'ailleurs, l'un des fils de Noëlla ainsi que sa petite-fille étaient présents à la première. Ils ont été très émus et nous ont dit : « Il n'y a pas un seul mot à changer. »
Pour nos lecteurs qui ne le sauraient pas, pouvez-vous nous rappeler ce qu'était le camp de Ravensbrück ?
C'était un camp de concentration destiné principalement aux femmes. De terribles expériences y ont été menées, certaines déportées y ont été empoisonnées. Ce fut un camp extrêmement difficile.
Pourquoi avoir choisi de monter cette pièce en particulier ?
Je pense que j'ai en moi l'ADN de mon père, qui a fait la guerre de 1939-1945, et ma famille faisait partie des résistants. Je me considère aussi comme une résistante : quand mes valeurs sont bafouées, je résiste, je n'obéis pas. Cette femme est donc entrée en moi et j'ai eu envie de parler d'elle, de diffuser ce message qui a aujourd'hui une résonance incroyable. Nous avons joué pour des scolaires, notamment à Château-d'Œx en Suisse, le lieu même où elle s'était refait une santé, et nous avons été surpris de voir à quel point les jeunes, dans les lycées et les collèges, étaient intéressés. J'aime les parcours hors du commun, les histoires de gens exceptionnels.
Vous avez précédemment travaillé sur des figures comme Barbara ou George Sand. On remarque une affinité avec les femmes de caractère.
Oui, j'aime les femmes fortes, celles qui défendent quelque chose, qui ont un esprit et un cœur ouverts. C'est ce qui m'importe. Je suis tellement horrifiée par ce qui se passe aujourd'hui que je veux diffuser ce message. C'est mon viatique pour le monde, la seule chose que je puisse faire.
Pensez-vous que notre époque a particulièrement besoin de ce genre de récits ?
Tout à fait. Pour que la spirale de la violence s'arrête. La violence ne paie pas, elle a toujours un coût supplémentaire qui en engendre un autre. Pour que cela cesse, il faut faire un premier pas. Noëlla Rouget a dû faire face à l'incompréhension de beaucoup de ses amies de Ravensbrück, qui lui en ont voulu d'avoir fait gracier son bourreau. Mais elle n'a eu aucun regret, car elle disait : « Sinon, je lui ressemble. Je prends une vie aussi si je condamne à mort. » C’est un message que nous avons besoin d'entendre. Quand on retrace ce parcours sur scène, on est dans l'authenticité du personnage, pas dans le jeu.
Si vous deviez résumer la pièce en trois mots ?
Résistez, luttez, ne haïssez pas.
Qu'aimeriez-vous que les spectateurs retiennent en sortant de la salle ?
On peut entrer dans la salle en se disant que cet homme mérite la mort. C'est arrivé lors d'une de nos représentations : un spectateur m'a confié être entré avec cette certitude et être ressorti différent, avec le cœur et l'esprit ouverts. Il n'y a pas plus beau cadeau.
Ce spectacle s'adresse-t-il à un public particulier ?
Non, il s'adresse à tout le monde. Concernant l'âge, je pense qu'aujourd'hui, des enfants de douze ans ont besoin de voir ce spectacle. Nous l'avons joué devant des collégiens et des lycéens, et c'est là que se trouve le terreau pour planter les graines de la non-violence, à un âge où la violence se déploie malheureusement de plus en plus. C'est là toute la force de ce message.
Qu'aurions-nous fait à sa place ?
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