Acteur et metteur en scène, Patrick Zard est le co-fondateur du théâtre de l’Oriflamme à Avignon, qu'il a créé avec son complice Julien Cafaro. Lassés des contraintes du système de production parisien, ils ont bâti leur propre maison pour y développer leurs projets en toute liberté. Ouvert à l’année, bien au-delà du tumulte du festival, L’Oriflamme est un pari audacieux, un lieu de création permanent qui privilégie les « coups de cœur » à la seule rentabilité. Patrick Zard nous dévoile sa vision, les défis économiques d'un tel engagement et le fil rouge de sa programmation : l'émotion.
Vous avez co-fondé le théâtre de l’Oriflamme avec Julien Cafaro, dans l’idée de créer un lieu de création de qualité, loin des contraintes parisiennes. Concrètement, comment cette vision se traduit-elle dans la gestion quotidienne et la stratégie à long terme de votre théâtre ?
Patrick Zard : Julien et moi sommes des comédiens et metteurs en scène, mais surtout amis de longue date. Monter des spectacles à Paris, c’est compliqué, il faut trouver une « vedette » ou des producteurs. Alors, arrivés à la fin de nos carrières, on a eu envie de se faire plaisir et d’avoir notre propre lieu. Donc, nous avons acheté ce lieu fin 2017 afin d’avoir notre lieu et d’être tranquilles. On décidera nous-mêmes avec qui on montera le projet et pas besoin de « vedette ». On a eu 3/4 ans de travaux sur cet ancien restaurant qui était en ruine. Ensuite, il y a eu le Covid, donc en 2020, le festival a été annulé alors qu’on devait ouvrir, et en 2021, la mairie a été frileuse, elle ne voulait pas qu’un nouveau lieu ouvre en sortie de pandémie. On a perdu deux ans, ça a été très dur financièrement. Finalement, on a ouvert en 2022 !
L’Oriflamme est un théâtre permanent à Avignon, qui vit donc toute l’année, au-delà du festival. Quel est le modèle économique d’un tel lieu ? Comment concilier coups de cœur et rentabilité, surtout hors festival ?
Patrick Zard : Arriver à faire vivre un lieu à l’année à Avignon et sans subvention, c’est difficile, on le savait dès le départ. Julien et moi-même avons mis nos propres fonds dans cet endroit, ainsi qu’un emprunt à la banque. Pendant deux ans, on organisait des concerts de jazz avec des artistes internationaux et ça a fonctionné ! On avait un public fidèle et enthousiaste, mais on perdait trop d’argent par concert. Donc, on a dû les arrêter... Désormais, toutes sortes d’activités sont présentes comme des cours de théâtre, on accueille aussi des résidences, où des compagnies répètent à des tarifs très abordables. On s'est aussi allié avec une compagnie locale : la compagnie Pourpre. Avec eux, on développe des projets à long terme comme des actions sociales vers des publics en difficulté, des personnes âgées, leur proposer du théâtre, du chant... Il y aura beaucoup de bénévolat, et petit à petit, on espère construire quelque chose qui ne cherche pas forcément à faire du profit, mais à s’adresser à tous les habitants d’Avignon.
Quelle est votre ligne de conduite pour la programmation ?
Patrick Zard : Notre principe fondamental est de prendre seulement des coups de cœur. On n'est pas là pour se faire de l’argent, nous, on veut juste se faire plaisir et faire plaisir au public. On en est à notre 4e année et je pense qu’on a atteint notre objectif. On a un public fidèle. Les professionnels, journalistes et programmateurs de salles en France disent toujours d’aller à l’Oriflamme car il y a toujours des choses formidables. C’est vraiment beaucoup de bonheur ! Et aussi un peu de stress (rire).
En parcourant votre programmation, on remarque une grande diversité de genres : comédies sociales, seuls en scène, pièces dramatiques... Quelle est la ligne directrice, le fil rouge qui relie ces choix ?
Patrick Zard : Dès la première année, on nous a demandé de choisir une ligne directrice. Mais avec Julien, on aime ressentir toutes sortes d’émotions, on ne veut pas s’enfermer dans un genre, on veut juste ressentir ces émotions. Et c’est pour cela que nous fonctionnons avec les coups de cœur. En tout cas, on ne se spécialisera jamais, on veut toujours une programmation variée à l’Oriflamme !
Vous portez plusieurs casquettes : co-directeur, comédien, metteur en scène. Comment ces différentes fonctions s’influencent-elles ? Le metteur en scène a-t-il une voix prépondérante dans vos choix ?
Patrick Zard : Je suis avant tout comédien depuis 50 ans ! Après, je suis metteur en scène et depuis 4 ans directeur de théâtre. Nos parcours influencent nos choix, on a le bonheur de pouvoir transmettre aux générations futures, mais ma plus grande joie est de pouvoir accueillir une jeune troupe et parfois c’est le coup de cœur !
Vous avez mentionné un coup de cœur absolu pour le texte Les Enfants du Diable. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui provoque chez vous une telle évidence ?
Patrick Zard : Cette pièce décrit la découverte de centaines d’orphelinats-mouroir en Roumanie à la chute de la dictature de Ceaușescu. Ces enfants étaient attachés, abandonnés par un régime fou qui voulait des soldats. J’ai voulu monter cette pièce, pensant que seuls les plus âgés seraient intéressés. Et bien non, il n’y avait que des jeunes et la salle était pleine. Pourtant, Les Enfants du Diable ne parlent pas aux jeunes. C’était incroyable.
Vous qualifiez Les Enfants du Diable de comédie sociale. Comment avez-vous abordé la mise en scène pour trouver l’équilibre entre le rire et la portée sociale ?
Patrick Zard : Soyons francs, c’est plutôt une comédie dramatique, avec des moments d’émotions, de tendresse et d’affrontement. Mais au milieu de cette horreur, on retrouve des situations comiques. Les deux comédiens jouent à la frontière entre les larmes et le rire. Le public ressort en larmes mais avec le sourire.
Le Festival d’Avignon est un tremplin reconnu. Quel rôle le théâtre de l’Oriflamme cherche-t-il à jouer dans l’émergence de nouveaux auteurs, metteurs en scène ou comédiens ? Comment accompagnez-vous les compagnies que vous programmez ?
Patrick Zard : On guide et encadre les jeunes compagnies en les orientant vers les bonnes personnes. Je fais partie du conseil d’administration d’Avignon Festival et Compagnies qui porte des thématiques comme la crise de la diffusion, l’émergence des jeunes compagnies, avec un fonds d’émergence dédié.