Cette année, dans le cadre du festival théâtral Avignon Off, les « Journées de l’Asie centrale » sont organisées pour la première fois – un programme présentant l’art théâtral du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan. L’un des principaux participants de ce programme est le Théâtre Républicain des Jeunes Spectateurs d’Ouzbékistan avec son spectacle Mascaraboz show. En plein cœur du festival, nous avons rencontré Malika Iskandarova, metteuse en scène principale de ce théâtre, pour parler de théâtre, de sa démarche artistique, de projets internationaux et de ses perspectives d’avenir.
Malika Iskandarova :
« Je suis la metteuse en scène principale, et je travaille en tandem avec la directrice du théâtre, Zulfiya Khamraeva. Nous sommes un théâtre soutenu par l’État d’Ouzbékistan, donc dans notre pays nous devons monter 4 spectacles par an. Nous décidons nous-mêmes de ce que nous voulons monter et de ce qui est pertinent et nécessaire pour le public.
Nous faisons en sorte que nos spectacles soient compréhensibles et intéressants tant pour les enfants et les adolescents que pour les adultes. Les enfants d’aujourd’hui sont différents, ils ont une vision du monde complètement différente. Ils sont constamment devant les écrans, ils perçoivent le monde autrement, et nous utilisons forcément des éléments visuels et des technologies pour capter leur attention. Mais jamais au détriment de ce qui se passe sur scène. Cet équilibre est très important.
Notre répertoire inclut toujours des classiques mondiaux comme Andersen, Schwartz, Charles Perrault – sans eux, un théâtre pour jeunes spectateurs ne peut exister. Parfois, nous nous tournons aussi vers des œuvres d’auteurs d’autres pays d’Asie centrale. Par exemple, en ce moment, nous avons une pièce basée sur l’écrivain kirghize Tchinguiz Aïtmatov, Le Premier Maître.
La direction de notre théâtre est entièrement féminine : la directrice, la metteuse en scène principale et la scénographe – toutes sont des femmes. Je pense que quand ce sont des femmes qui dirigent, elles deviennent comme des mères pour tous. Elles aiment l’ordre et la discipline, mais veillent aussi à ce que tout le monde se sente bien – comme des mamans ! Les femmes sont naturellement plus douces, elles font preuve de compréhension, et elles savent créer une atmosphère chaleureuse. Faire du théâtre un lieu où l’on a envie d’aller et où l’on se sent bien. Et pas seulement pour le public, mais aussi pour ceux qui y travaillent. Pour que les gens viennent au travail comme à une fête, et qu’ils s’y sentent à l’aise, comme à la maison. C’est le genre de théâtre que nous voulons : un théâtre-famille auquel on se consacre avec l’âme, le cœur, la gentillesse et la bonne humeur. Je crois que quand l’ambiance dans l’équipe est saine, la créativité s’épanouit davantage. Et cette atmosphère, seules des femmes peuvent vraiment la créer.
Notre théâtre a de nombreux amis dans le monde théâtral, et nous avons signé des mémorandums avec de nombreux pays : Kazakhstan, Kirghizistan, Géorgie, Azerbaïdjan, Kalmoukie, Chypre. Ces mémorandums incluent des programmes précis. Par exemple, des tournées d’échange – nous allons jouer dans des théâtres d’autres pays, et ils viennent jouer chez nous.
Notre théâtre participe souvent à des festivals. Nous avons été à Londres, en Chine, au Qatar, en Turquie, en Kalmoukie – nous avons un très long palmarès de festivals. Lors de ces festivals, nous présentons le spectacle Mascaraboz show. L’idée de ce spectacle est née après que l’ambassade d’Ouzbékistan au Royaume-Uni nous a invitées à célébrer la fête de Navrouz à Londres (NB. Navrouz est une fête ancestrale qui marque l’équinoxe de printemps et le début de la nouvelle année et du printemps). L’ambassadeur nous a demandé d’imaginer quelque chose de national, pour partager nos traditions et coutumes, mais aussi quelque chose de compréhensible pour la culture européenne. Avec les acteurs, nous avons beaucoup réfléchi, et nous avons compris que le genre mascaraboz (NB. théâtre médiéval traditionnel de la commedia dell’arte de notre région) était la meilleure solution.
Les mascaraboz – des artistes joyeux et les ancêtres du théâtre ouzbek. Les Russes avaient les skomorokhs, les Français – les jongleurs, les Allemands – les spielmänner, et nous – les mascaraboz. Ce sont des artistes itinérants qui arrivaient sur une place, déroulaient un tapis et divertissaient le public avec des chansons, des danses, de petites saynètes et des sketches, le tout avec beaucoup d’humour et sans mots. Nous avons fusionné ce théâtre traditionnel ouzbek avec le théâtre contemporain, et cela a donné un spectacle unique. Nous avons choisi cette forme Mascaraboz show parce qu’elle apporte de la fête aux gens.
Mascaraboz show plaît généralement à presque tous les publics. L’humour fonctionne partout de manière assez universelle. Oui, il y a parfois des nuances – un public rit à un moment, un autre à un autre. Cela dépend de la mentalité du pays où nous jouons. En France, par exemple, notre spectacle est très bien accueilli, et les spectateurs repartent ravis. Tout est transmis par la gestuelle et l’expression corporelle, donc il n’y a pas de barrière pour entrer en contact avec le public. Je dis toujours à mes artistes : on ne gagne le public qu’avec le cœur, l’âme, la sincérité et l’énergie. L’investissement émotionnel se voit toujours. Et le retour dépend de cela. Plus on donne, plus on reçoit. Notre tâche, et celle de Mascaraboz show, c’est d’apporter fête et joie aux gens.
J’ai étudié dans l’atelier de Nabi Abdurakhmanov, et je ressens toujours l’influence de son école. L’école s’imprègne en toi pour toujours, on ne peut pas s’en débarrasser. Et je suis infiniment reconnaissante à mon maître de m’avoir transmis l’amour de mon métier, du théâtre, et de m’avoir appris que si l’on entreprend quelque chose, il faut le faire à fond, et bien. Et je transmets son enseignement plus loin. Bien sûr, sous une forme transformée : je filtre cette école à travers moi-même, je trouve mon propre chemin, je l’enrichis, je comprends ce que je peux faire différemment, ce que je peux ajouter ou retirer. C’est un processus créatif normal.
Quand on parle d’art, et en particulier d’art théâtral, on ne peut pas le diviser entre l’époque soviétique et l’époque contemporaine, car c’est un processus unique. Les vérités et les fondements que les maîtres du théâtre ont découverts autrefois sont tellement justes qu’il est impossible de les rejeter. On ne peut pas fuir l’école de Stanislavski, Meyerhold, Tovstonogov. Que ferions-nous sans Stanislavski ? Mais si le théâtre ne s’en tient qu’aux traditions et ne fait que répéter ce qu’il a déjà fait, il ne se développera pas. Le théâtre est toujours un terrain d’expérimentation, même quand on met en scène des classiques
De Tachkent à Avignon, nos mascaraboz traversent les cultures et rappellent que la joie est aussi un langage universel.
Article rédigé par : Anastassia Chourova
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