Dans le cadre du Festival Off d'Avignon, nous recevons Dorothée Hardy, comédienne, et Patrick Valette, adaptateur et metteur en scène. Ils présentent au Théâtre de la Tache d'Encre leur lecture du roman emblématique d'Octave Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre. À travers un seul-en-scène porté par Dorothée Hardy, ils explorent le parcours de Célestine, une domestique de la fin du XIXe siècle qui observe avec une lucidité acérée les mœurs de la bourgeoisie. Entretien sur un texte social, puissant et profondément humain.
© photo Philippe Hanula 2021
Avignon et Moi : Bonjour à vous deux. Pouvez-vous nous présenter la genèse de cette pièce ?
Dorothée Hardy : C'est une adaptation du roman d’Octave Mirbeau, qui est en fait tiré d'une histoire vraie. Une femme de chambre de la fin du XIXe siècle a réellement existé et a écrit un journal tout au long de sa vie de labeur. Octave Mirbeau, un grand patron de presse qu'elle a rencontré, en a fait un roman. Celui-ci sort en 1900 et crée un scandale, car c'est la première fois que l'on ose dénoncer les conditions de travail drastiques de ce petit personnel, et tout particulièrement des femmes, corvéables à merci dans les grandes familles bourgeoises. Dans la pièce, nous suivons la vie de Célestine, qui, par flashbacks, nous raconte son passé.
Le texte est connu pour sa critique sociale acerbe. Comment le décririez-vous ? Est-ce un drame, une comédie ?
Dorothée Hardy : C'est la vie d'une femme, et comme toute vie, elle est en sinusoïde, avec des hauts et des bas. Il y a des moments sensibles et des moments heureux. Célestine est une femme forte, puissante, qui grâce à sa seule ténacité et sa pugnacité, va réussir à s'élever socialement. C'est une belle histoire humaine.
Patrick Valette : On peut même dire qu'il y a des moments drôles. En fait, il y a huit personnages qui vivent et qui parlent dans ce seul-en-scène, et la perception que Célestine a de ces personnages peut faire rire. Le public rit. Il y a notamment un passage avec un fétichiste qui est assez amusant. C'est une vie, tout simplement.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de porter ce texte à la scène ?
Dorothée Hardy : C'est une très belle histoire de femme. Elle s'est battue, elle a réussi à s'élever socialement, c'est une belle aventure humaine. Et puis, c'est une écriture magnifique, celle d'Octave Mirbeau. N'oublions pas qu'il était l'un des grands patrons de la presse parisienne à cette époque ; il est encore étudié dans les écoles de journalisme.
Si vous deviez résumer la pièce en quelques mots ?
Dorothée Hardy : Une belle aventure de femme.
Patrick Valette : Une vie dure et merveilleuse.
Le roman a connu plusieurs adaptations. En quoi votre version se distingue-t-elle ?
Dorothée Hardy : C'est une adaptation que Patrick a réalisée spécifiquement pour le théâtre et qui suit vraiment la vie de Célestine. D'autres adaptations ont pu avoir des visions plus politiques, car Mirbeau avait un côté très engagé. Ici, nous sommes vraiment centrés sur la vie de cette femme, ce qui nous différencie peut-être d'autres approches.
Patrick Valette : Beaucoup d'adaptations prennent en compte ce que Mirbeau a réinjecté dans le journal originel de Célestine. Il faut savoir qu'à l'époque, avant d'éditer les romans, il les publiait par épisodes dans les journaux. Octave Mirbeau a réécrit certains passages jusqu'à six ou sept fois avant la publication du roman, politisant ainsi un peu le journal de Célestine. Dans notre adaptation, nous sommes revenus à cette femme. C'est son histoire que nous suivons, une histoire ouvrière, mais aussi une histoire de réussite sociale. Elle naît dans la misère, sans aucun espoir, et pourtant, elle va réussir à s'élever. C'est un bel exemple humain.
Qu'aimeriez-vous que le public retienne en sortant du spectacle ?
Dorothée Hardy : Quand les gens sortent, ils sont très émus, bouleversés. Ils nous remercient d'avoir partagé ce moment d'émotion, à la fois gai et triste, car il y a des passages plus sensibles. C'est merveilleux de pouvoir toucher le public ainsi, de partager ces instants.
Patrick Valette : C'est ce qui m'a toujours intéressé dans le théâtre ou dans mes adaptations : l'humain. Quand on voit le public rester assis dans la salle alors que les portes sont ouvertes pour la sortie, on sait qu'on a trouvé l'émotion que l'on cherchait. Le théâtre, c'est un moment d'échange et de partage. Ici, cet échange existe complètement et nous vivons des moments merveilleux avec le public.
La pièce s'adresse-t-elle à un public particulier ?
Patrick Valette : Non, pas de public cible particulier, même si nous le déconseillons aux moins de 12 ans, car c'est un spectacle sensible qui aborde des sujets parfois durs. Cela dit, ce n'est pas quelque chose d'horrible ; c'est un roman qui peut être étudié au collège à partir de la quatrième ou de la troisième.
Dorothée Hardy : Il faut aussi noter que c'est un texte littéraire. Mirbeau est une vraie plume, donc le langage est soutenu.
Ce texte n'a-t-il pas été trop complexe à interpréter ?
Dorothée Hardy : Non, c'est magique. C'est un texte qui roule, porté par le sentiment et la vie.
Depuis combien de temps jouez-vous cette pièce ?
Patrick Valette : Nous la jouons depuis quatre ans.
Le Journal d'une femme de chambre
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