Comédienne, autrice et metteuse en scène, Sylvia Roux est également la directrice artistique du 3S, une nouvelle entité théâtrale qui a repris l'an dernier les anciens murs des 3 Soleils. Pour cette édition du Festival d'Avignon, le projet, mené par un quatuor de femmes, prend une nouvelle ampleur en s'étendant sur trois lieux et en proposant trente-six spectacles. Sylvia Roux nous présente cette aventure humaine et artistique, mue par la passion de la création et des auteurs vivants.
Avignon et Moi : Vous avez repris le théâtre des 3 Soleils l'année dernière pour lancer le 3S. Pouvez-vous nous raconter la genèse de cette nouvelle aventure ?
Sylvia Roux : Ce fut une aventure qui a suivi l'épisode un peu douloureux des 3 Soleils. J'insiste sur un point : les difficultés qui ont pu exister concernaient une petite salle annexe, la Chapelle. Le lieu principal des 3 Soleils, au 4 rue Buffon, où j'avais déjà joué, était de grande qualité. Cela fait vingt ans que je fais le festival, et je peux vous dire qu'avec près de 1600 spectacles, on trouve des lieux très limites en termes d'accueil. Ici, c'était tout l'inverse : un immense hall avec un bar, un accueil pour la presse et les professionnels, des transats, le tout entièrement climatisé. C'est un lieu privilégié qui offrait déjà deux salles, de soixante-douze et cent-cinquante-quatre places, que nous avons conservées et qui forment aujourd'hui ce que nous appelons Le Quatre.
Cette année, vous ne gérez plus un seul lieu, mais trois. Qu'est-ce qui a motivé cette expansion ?
L'année dernière, nous avons donc ouvert Le 3S. Le nom permettait à la fois d'évoquer nos ambitions de "3 salles" pour le futur, tout en faisant un clin d'œil à l'ancien "3 Soleils" pour ne pas perdre les habitués. Malgré un contexte compliqué avec les Jeux Olympiques qui avançaient les dates et la dissolution, l'aventure humaine a été magique. Sur les seize spectacles que nous avions programmés, les trois quarts ont souhaité revenir. Or, ce qui me plaît avant tout, c'est la création et les destinées singulières. La question était : comment accueillir ceux qui souhaitent revenir, tout en continuant à proposer de nouvelles créations ? La solution était d'ouvrir davantage de salles.
La propriétaire nous a confié la gérance d'autres lieux. Nous avons donc décidé de nous lancer. Pour simplifier les choses, nous avons nommé les théâtres d'après leur adresse : Le Quatre au 4 rue Buffon, Le Sept au 7 rue Pasteur, et le 10th Avenue au 10 Avenue de la Trillade. Ce dernier est notre fierté : une salle de 240 places avec une ouverture de plateau de 10 mètres, une belle hauteur, et des sièges dignes des plus beaux cinémas. Nous voulions un lieu où des compagnies, même nombreuses, puissent se sentir chez elles.
Quelle est la ligne artistique qui guide la programmation de ces 36 spectacles ?
Je suis un dinosaure : j'aime lire les textes, sur manuscrit papier, et voir si j'ai envie de tourner la page. Je cherche la pépite, la proposition atypique, ce qui me fait rire ou me bouleverse, avec toujours l'idée de partager une émotion et, si possible, d'améliorer notre vivre-ensemble. Quand je parle de "destinées singulières", il faut que le public puisse se reconnaître, même dans sa différence. Nous vivons dans un climat très anxiogène. L'art vivant a une vraie mission : nous rappeler que nous sommes ensemble, que nous pouvons nous écouter et nous estimer. Il n'y a pas de guerre entre le théâtre privé et le public, le drôle et le complexe. L'essentiel, c'est le fil de l'émotion. Si on s'identifie aux personnages, on aime le spectacle, qu'il dure dix minutes ou deux heures et demie.
Ce projet est porté par un collectif. Pouvez-vous nous présenter les quatre femmes derrière Le 3S ?
Nous sommes quatre. Bénédicte Ouvry est la directrice générale, notre "grand chef indien". C'est un couteau suisse : elle a géré des restaurants, des ouvertures de salles de cinéma, elle adore la gestion d'équipe. Ensuite, il y a Nathalie Lecordier, qui a une importante mission dans le secteur social et politique à Rouen, notamment dans l'aide à l'enfance et aux femmes victimes de violences. Nous partageons les mêmes valeurs. Enfin, Brigitte Kernel, qui a été journaliste littéraire et productrice sur France Inter pendant vingt-neuf ans. Elle vivait pour les auteurs vivants à travers les romans, et moi pour eux à travers le théâtre. Quant à moi, Sylvia Roux, je m'occupe de la direction artistique.
Vous organisez une journée très spéciale le 14 juillet. Quel en est le programme ?
Oui, avant la fête nationale, nous proposons un véritable voyage au 3S. À 14h, au Quatre, nous présentons Hu-mains, un spectacle inclusif de 30 minutes avec des personnes en situation de handicap. L'entrée se fera au chapeau. Et au sept, 16h, nous filons au Sept pour La Guinguette des Enfants, un bal où l'on reprend tous les classiques, de Vive le vent aux grands succès de Disney. L'entrée est gratuite pour les enfants, avec une participation de 5 euros pour les adultes accompagnants. Enfin, la soirée sera dédiée à l'année France-Brésil, suivie d'un concert dans le cadre de "La musique se lâche le jour des relâches", notre rendez-vous des lundis.
J'en profite pour mentionner que nous avons créé le "3S Social Club". Les personnes qui souhaitent nous soutenir peuvent faire un don défiscalisable, qui servira à financer des ateliers d'estime de soi que j'animerai pour des associations partenaires comme le CIDFF 84 et la Maison d’Amado.
Pour le festivalier qui hésiterait encore, que lui diriez-vous pour le convaincre de franchir les portes de vos théâtres ?
Je lui dirais que si quatre femmes, déjà bien occupées dans leurs vies, décident de s'investir corps et âme tout un mois de juillet pour ouvrir trois salles et accueillir trente-six spectacles, c'est qu'elles y croient sincèrement. En venant chez nous, il entrera dans une famille. Chaque personne est importante : l'auteur, l'artiste, le régisseur et le spectateur. Nos lieux sont conçus pour le bien-être : il y a des bars sympathiques, des transats, la climatisation partout. C'est le pays de l'humain. Même sans billet, on peut venir boire un verre, sentir l'ambiance du festival. S'il y a la moindre déception, je suis là. Je joue moi-même deux fois par jour dans mes propres salles [à 15h20 et 18h30]. Si quelque chose n'allait pas, je serais la première à le dire.
Justement, vous portez plusieurs casquettes : directrice, mais aussi comédienne. Comment s'articulent ces différentes fonctions ?
Tout se rejoint. On m'envoie des textes, et quand l'un d'eux me fait vibrer, je peux décider de le défendre aussi en tant qu'actrice. C'est ce qui s'est passé pour la pièce Un Voisin de Thierry Mourjan. Et c'est particulièrement le cas pour Le Monde selon Albert Einstein, que je joue à 15h20 au Quatre. C'est un projet qui incarne notre quatuor : le texte est adapté d'un roman de Brigitte Kernel, ma co-directrice, j'ai fait l'adaptation et je joue les onze personnages, Bénédicte Ouvry s'occupe de la tournée et Nathalie Lecordier le coproduit avec nous. C'est une pièce sur la différence, qui raconte comment Einstein, enfant dysphasique et colérique, est devenu le génie que l'on connaît. Les quatre fondatrices du 3S sont réunies dans ce spectacle.
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