À l'occasion du Festival d'Avignon, nous rencontrons Sophie Jolis, autrice et comédienne de la pièce "La Faiseuse d'Anges". Ce drame historique, présenté à l'Espace Saint-Martial, retrace l'histoire vraie de Marie-Louise Giraud, dernière femme guillotinée en France, en 1942 sous le régime de Vichy, pour avoir pratiqué des avortements clandestins. Entre enquête policière et drame judiciaire, la pièce explore les paradoxes d'une femme ordinaire prise dans un engrenage qui la dépasse, et soulève des questions sur la justice et la liberté.
Avignon et Moi : Bonjour Sophie. Pouvez-vous nous présenter "La Faiseuse d'Anges" ?
Sophie Jolis : "La Faiseuse d'Anges", c'est l'histoire vraie de Marie-Louise Giraud, qui fut condamnée à mort et guillotinée en 1942, sous Pétain, pour avoir pratiqué des avortements. Le spectacle raconte l'enquête policière et le jugement de cette femme. L'histoire démarre en 1940, lorsque Marie-Louise Giraud aide sa jeune voisine à avorter. Puis elle aide une autre femme, et encore une autre. Elle finit par se faire payer et se fait dénoncer par des lettres anonymes au commissariat de Cherbourg, qui mène alors l'enquête. La particularité de cette affaire est que Marie-Louise Giraud est finalement jugée à Paris, à huis clos, pour faire d'elle un exemple. Elle n'a donc aucune chance de pouvoir se défendre face à la justice particulière du régime de Vichy. C'est un spectacle qui pose des questions, et non qui prône une position pour ou contre. Il reste ouvert mais soulève de nombreux questionnements sur la liberté des femmes, l'avortement, mais aussi la justice, le tout recontextualisé pendant la guerre de 39-45.
C'est vous qui avez écrit la pièce ?
Oui, j'ai écrit la pièce. Elle est habillée d'ambiances musicales et de chants, car les comédiens sont également chanteurs. La musique a été composée par Guillaume Ménard, qui nous accompagne sur scène au clavier.
Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire en particulier ?
J'ai choisi ce sujet car la personnalité de Marie-Louise Giraud est assez particulière. Elle n'a jamais revendiqué un quelconque féminisme à travers ses actes ; elle est pleine de paradoxes. Théâtralement, c'est très intéressant d'avoir une femme, j'ai envie de dire, ordinaire. Notre accroche est d'ailleurs : "une plongée dans la France de l'Occupation à travers le destin hors du commun d'une femme ordinaire". Au départ, elle ne revendique rien, elle rend service. Puis elle tombe dans un engrenage. Elle a aussi une envie d'exister, n'étant pas très heureuse dans sa vie personnelle. Elle se retrouve complètement prise au piège, ne comprend pas pourquoi elle est jugée à Paris, alors qu'elle a toujours maintenu avoir fait cela pour aider les femmes. Humainement, il était intéressant de se dire que nous pouvons tous être pris dans des engrenages et réaliser des actes que nous n’aurions jamais imaginé faire. Dramatiquement, c'était donc un sujet très riche.
Quels ont été les principaux défis dans la création de ce spectacle ?
Sur le plan de l'écriture, il fallait assembler les pièces d'un puzzle pour reconstituer son passé et son histoire. Le défi le plus technique a résidé dans la scénographie. Elle est composée d'un module central électrifié qui tourne, commandé depuis la régie. Il peut effectuer des quarts de tour, des demi-tours, ou tourner en continu dans les deux sens. Selon sa position, le lieu change : nous sommes chez le commissaire, chez Marie-Louise, ou au tribunal. La rotation continue symbolise aussi l'idée d'engrenage, l'accélération des événements jusqu'au jugement et à la peine de mort. C'est un élément central très fort. L'autre particularité est que les quatre comédiens sur scène jouent plusieurs personnages et se changent à vue du public, autour de ce module.
Vous évoquez plusieurs personnages. Combien d'artistes sont sur scène ?
Nous sommes cinq sur le plateau : quatre comédiens et un pianiste. Le rôle de Marie-Louise Giraud est incarné par Julia Salaün du début à la fin. Laetitia Ayres et moi-même interprétons les autres rôles féminins. Guillaume Nocture joue tous les rôles masculins : le mari, le juge, le commissaire, l'avocat... Et Guillaume Ménard est au piano.
Si vous deviez résumer la pièce en trois mots ?
Je choisirais : émotion, questionnement et femme. Je dois ajouter que la pièce est mise en scène par Aurélien Houver, qui a accompli un travail incroyable. Il a réussi à traiter ce sujet à la fois de manière poétique et musicale, mais aussi émotionnelle. Ce spectacle est très intense mais comporte aussi des scènes plus légères. C'est vraiment du théâtre dans tout ce que ce mot implique.
Avec quelle réflexion souhaitez-vous que le public quitte la salle ?
Nous avons déjà joué la pièce plusieurs fois et, à chaque fois, le public repart avec des questionnements : "Qu'est-ce que j'aurais fait, moi ?", "Que penser de cette femme ?", "Quelle est ma position sur ce sujet de l'avortement, qui est fortement remis en lumière actuellement ?". Je crois que le public ressort avec des questions ouvertes. Chacun prend ce qu'il veut, croit ce qu'il croit et pense ce qu'il pense. Mais la pièce amène vraiment à s'interroger.
Il s'agit d'une création 2025. Combien de temps a nécessité un tel projet ?
L'écriture a pris environ un an. La mise en scène a également nécessité plus d'un an, avec plusieurs résidences de création. Quand on commence à travailler sur un spectacle, il faut presque deux ans pour qu'il arrive à son aboutissement. C'est notre première fois à Avignon avec ce spectacle tout neuf.
La Faiseuse d'anges
Recevez la newsletter Avignon et Moi
Les bons plans, critiques, sorties et actus deux fois par semaine dans votre boîte mail.
S’inscrire gratuitement