À l'occasion du Festival Off d'Avignon, le comédien et auteur Jean-Pierre Brouillaud présente Douze à la Maison de la Parole. Dans ce seul en scène, il explore avec humour une idée singulière : imaginer un monde où chaque échange, du plus banal au plus tragique, se ferait en alexandrins. Une proposition qui, au-delà de la performance poétique, interroge notre rapport à la langue française. Il nous dévoile la genèse et les ambitions de ce projet.
Avignon et Moi : Pourriez-vous nous présenter votre spectacle, Douze ?
Jean-Pierre Brouillaud : C'est un spectacle qui, comme son nom l'indique, est entièrement écrit en alexandrins. J'y imagine ce que serait notre vie si tout le monde parlait constamment en vers de douze pieds, que ce soit pour commander une baguette de pain, un café, ou pour des choses plus importantes comme quitter son mari. Le spectacle suit le cours de l'existence, de la naissance à la mort, entièrement en alexandrins. Je détourne le caractère très solennel de cette forme poétique pour en faire un objet du quotidien, ce qui donne au spectacle une tonalité plutôt humoristique. L'alexandrin est donc à la fois le support et le sujet de la pièce. L'idée sous-jacente est que la vie serait peut-être plus douce si nous parlions ainsi.
Le texte est-il le même à chaque représentation ?
Oui, c'est un texte que j'ai écrit et que j'interprète. L'envie d'écrire en alexandrins me trottait dans la tête depuis longtemps, mais je peinais à trouver le bon sujet. Cette idée d'imaginer la vie quotidienne en vers m'a finalement donné l'angle que je cherchais.
Pourquoi ce choix de l'alexandrin, justement ?
C'est un rythme que j'ai dans la tête depuis l'enfance. J'ai lu beaucoup de poésie classique, notamment du XIXe siècle, et j'ai toujours été fasciné par cette musicalité assez extraordinaire. Le défi était de trouver un angle original, car les plus grands poètes et dramaturges s'y sont illustrés. L'idée de le désacraliser en l'appliquant à des situations banales m'a semblé être la bonne approche pour créer un spectacle drôle. On y voit par exemple un bébé naître en parlant en alexandrins, des débats politiques en vers, ou encore une femme qui quitte son mari en lui disant :
Gérard, mon cher Gérard, je te trouvais si beau,L'idée est que même pour des moments tristes, cette forme apporterait plus de douceur dans les rapports sociaux.
Au-delà de l'humour, le spectacle est donc aussi une ode à la langue française ?
Oui, absolument. C'est un spectacle sur la langue et le soin qu'on lui apporte, à une époque où elle a plutôt tendance à se détériorer, sans vouloir jouer les anciens combattants. Je suis d'ailleurs très heureux de le jouer à la Maison de la Parole, un lieu qui met justement l'accent sur le texte. L'alexandrin permet de dire beaucoup de choses en douze pieds seulement. C'est un rythme très musical qui ouvre toutes les possibilités, du tragique au comique. Il y a donc de l'émotion dans le spectacle, et, je l'espère, pas mal d'humour.
En tant qu'auteur et interprète, quels ont été les défis de la création ?
La difficulté n'est pas tant d'écrire des alexandrins – avec le rythme en tête, on peut en produire assez facilement – mais d'en écrire de bons. Le plus compliqué a été la réécriture : soigner les vers, trouver des rimes qui ne soient pas faciles, éviter le bricolage. Cela a demandé beaucoup de temps. Sur scène, le défi est de rendre le tout vivant. Une heure d'alexandrins pourrait faire peur. J'ai donc cherché à créer des ruptures, à alterner les moments drôles et plus émouvants pour éviter toute monotonie. Il y a aussi un peu de musique, de la guitare sèche, enregistrée et jouée en direct, pour enrober la musicalité du verbe. J'ai eu de très bons retours lors de quelques représentations à Paris, j'espère que ce sera également le cas à Avignon.
Si vous deviez résumer votre spectacle en trois mots ?
Je dirais : poésie, humour et musique. La forme est poétique, le ton est humoristique, et la musique est présente à la fois dans le vers et sur scène.
Avec quelle idée souhaitez-vous que le public reparte ?
Ce n'est pas une pièce à message, mais plutôt un divertissement autour de la langue. Peut-être avec l'idée qu'il faut apporter du soin à son expression. La richesse de la langue fait aussi la richesse de la pensée. Quand la langue s'appauvrit, la pensée risque de suivre. Mais ce que je trouve amusant, c'est que parfois, des spectateurs sortent et essaient de se parler en alexandrins. Ils comptent les syllabes sur leurs doigts, ça crée des situations assez drôles. L'un d'eux m'a même raconté avoir tenté l'expérience avec ses enfants au petit-déjeuner le lendemain !
Douze
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