Rencontre avec Franck Lorrain et Séverine Lathuillière pour « Paris-Biarritz » : Apprendre à s’aimer soi, pour mieux aimer les autres
À l'occasion du Festival Off d'Avignon 2025, le comédien et auteur Franck Lorrain présente son seul-en-scène, « Paris-Biarritz ». Il y retrace l'histoire vraie de son périple de 800 kilomètres à pied, entrepris à l'âge de 18 ans. Un voyage initiatique qu'il a d'abord consigné dans un carnet avant de le porter à la scène, accompagné par la metteuse en scène Séverine Lathuillière. Ensemble, ils nous parlent de la genèse de ce spectacle intime et universel, présenté à La Factory - Chapelle des Antonins.
Avignon et Moi : Pourriez-vous nous présenter votre spectacle, « Paris-Biarritz » ?
Franck Lorrain : C'est mon histoire, une histoire vraie. À dix-huit ans, je suis parti de chez mes parents un peu sur un coup de tête, à pied. J'ai fait 800 kilomètres à la marche entre Paris et Biarritz pendant vingt-huit jours. Comme je n'avais pas beaucoup d'argent, je devais solliciter les gens pour trouver où dormir, manger, boire. J'ai rencontré des gens formidables et d'autres, un peu moins sympathiques. J'ai tout écrit sur un carnet. Des années plus tard, maintenant que j'ai une cinquantaine d'années et que je suis père de famille, j'ai retrouvé ce carnet. Je me suis dit qu'il fallait absolument que je raconte cette histoire. Je n'en avais même pas parlé à mes enfants, ce que je trouvais un peu bête, car c'est l'histoire qui m'a construit et qui a fait que je suis devenu comédien.
Pourquoi avoir choisi la scène pour raconter cette histoire, plutôt que d’en faire un livre par exemple ?
Franck Lorrain : Parce que le théâtre, c'est mon milieu d'origine. J'ai commencé à dix-huit ans et cela fait plus de trente ans que je fais ce métier, c'est ma façon de m'exprimer. C'est un art premier que j'aime et je n'arrivais pas à trouver un autre média pour en parler. Pour moi, il était naturel d'en faire du théâtre, du spectacle vivant. Les carnets de l'époque n'étaient pas adaptés tels quels pour la scène, et surtout, j'avais dix-huit ans. C'est là que Séverine est intervenue pour m'apporter un regard extérieur, un œil de "script doctor", afin de m'orienter entre les moments vécus en 1993 et l'homme que je suis aujourd'hui.
Séverine Lathuillière, comment avez-vous abordé l'adaptation de ce carnet pour la scène ?
Séverine Lathuillière : Nous avons travaillé en plusieurs étapes. La première a été de regarder ce qu'il y avait dans ce carnet et d'identifier les moments qui allaient incarner ce parcours. Ensuite, nous avons réfléchi à ce qui faisait écho avec l'homme qu'il est aujourd'hui : son militantisme, son humanité, son amour pour la nature, sa rencontre avec l'engagement. La dernière étape de l'écriture a été de raconter son histoire personnelle autour de ce voyage : son enfance, les traumatismes vécus, notamment des agressions. Il était important de dire que les hommes aussi peuvent prendre la parole sur ces sujets. Nous avons ajouté cette dernière couche avant de travailler sur la mise en scène, pour aborder la question de la résilience : comment se sort-on de tout ça ?
Franck Lorrain : Et comment pardonne-t-on à la vie ou aux gens qui ont été difficiles avec vous ? Comment on se libère de la haine, comment cela nous rend puissant et apaisé. À la cinquantaine passée, c'était le moment pour moi d'en parler.
En parlant de traumatismes, n'est-ce pas trop difficile de revivre ces émotions sur scène à chaque représentation ?
Franck Lorrain : C'est une épreuve, un long voyage. Je suis sur scène durant tout le spectacle, sans jamais en sortir. C'est le lancement d'un grand voyage que je vis à chaque fois comme une catharsis. Je revis des émotions, des choses du passé. Oui, c'est quelque chose de violent, mais c'est aussi quelque part jouissif de pouvoir partager cela à travers cet art et la mise en scène de Séverine. Ça me permet de raconter à nouveau cette histoire et d'être en paix avec moi-même.
Séverine Lathuillière : Au-delà du voyage initiatique, il y a aussi le travail de l'acteur. Franck, qui est aussi comédien de doublage, a l'habitude de construire des personnages avec sa voix et son corps. Le travail a donc aussi consisté à trouver comment incarner toutes les personnes qu'il a rencontrées. Ce qu'il dit sur le pardon est très fort. Le spectacle montre comment des gens aux idées parfois complètement opposées aux nôtres peuvent néanmoins être touchants. Il s'agit de montrer que le monde n'est pas binaire.
Le lieu, la Chapelle des Antonins, semble jouer un rôle important dans l'expérience immersive du spectacle.
Franck Lorrain : C'est un écrin. C'est une chance d'avoir pu faire une résidence ici avec Laurent Rochu et La Factory, et d'avoir créé le spectacle dans le lieu même où nous le jouons, car c'est une création Avignon 2025. On dirait que ce lieu est fait pour ce spectacle.
Séverine Lathuillière : Ce lieu est chargé d'histoire, ce qui fait écho au texte. La dimension catholique, par exemple, est très présente dans le récit de Franck. En même temps, c'est un lieu qui a été magnifiquement réhabilité, avec un côté moderne qui correspond à notre mélange des genres entre théâtre et cinéma, entre le passé et le présent.
Quels ont été les principaux défis de la mise en scène ?
Séverine Lathuillière : Le défi était de travailler sans décor et de trouver une fluidité pour représenter ces vingt-huit jours de marche et ces nombreuses haltes. L'idée du tulle, sur lequel des images sont projetées, est devenue la solution. Je n'en dis pas plus pour ne pas tout dévoiler, mais ce tulle accueille à la fois le présent, le passé et le voyage. Le spectacle est conçu comme un long plan-séquence, presque comme un film ou un conte musical, avec la sublime musique d'Olivier Daviaud. Cela donne une forme légère qui peut voyager partout.
À quel type de public s’adresse le spectacle ?
Franck Lorrain : C'est un spectacle empreint d'une grande humanité qui parle du pardon, donc je pense qu'il s'adresse à tout le monde. C'est une valeur universelle. Cependant, comme il y a des moments un peu difficiles, nous le conseillons à partir de 12 ans. On voudrait toujours se regarder comme des chevaliers, mais la crasse des êtres ordinaires nous rattrape toujours.
Séverine Lathuillière : C'est vraiment un spectacle intergénérationnel. Nous l'avons testé auprès de différents publics et c'est assez touchant de voir que, quelle que soit la génération, le message résonne.
Qu’aimeriez-vous que le public retienne en sortant de la salle ?
Franck Lorrain : L'amour du prochain. Surtout dans notre époque où les conflits sont nombreux. Au-delà de mon militantisme écologiste pour la biodiversité marine, je pense que lorsqu'on aime la nature, on ne peut qu'aimer l'Homme avec un grand H. Alors oui, ce serait de nous aimer les uns les autres.
Séverine Lathuillière : Je prolongerais ce que dit Franck en ajoutant : l'amour de soi. C'est aussi un spectacle sur le dépassement de soi. Accomplir un tel chemin, c'est apprendre à se connaître et à s'aimer soi-même. C'est se pardonner de ne pas être parfait et avoir de l'amour pour ce que la vie a mis sur notre chemin et qui nous a permis de grandir.
- Spectacle : Paris-Biarritz
- Lieu : La Factory - Chapelle des Antonins, 5 rue Figuière, Avignon
- Dates : Du 5 au 26 juillet 2025 (relâches les 8, 15 et 22 juillet)
- Horaire : 14h20
- Durée : 1h10
- Auteur et interprète : Franck Lorrain
- Mise en scène : Séverine Lathuillière
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