À l'occasion du Festival d'Avignon, la Chapelle des Italiens devient l'écrin d'un voyage théâtral et musical sensible : « Barbara, de théâtre en théâtre... ». Conçu et interprété par le duo Rafaèle Huou et Philippe Mangenot de la compagnie Théâtres de l'Entre-Deux, ce spectacle retrace la vie et l'œuvre de l'iconique "dame en noir". Philippe Mangenot, qui assure également la mise en scène, nous dévoile les coulisses de cette création, où le rêve d'une artiste a triomphé de la folie et des blessures de l'enfance. Une plongée intime dans la vie d'une femme devenue légende.
Alors que nous sommes à quelques heure de l'ouverture du Festival Off d'Avignon, nous retrouvons Philippe Mangenot. Le metteur en scène, le regard pétillant, porte avec une passion communicative ce projet mûri depuis de longues années. Avec sa complice de scène et de vie, Rafaèle Huou, il a déjà exploré les liens entre la vie et l'œuvre d'artistes majeurs comme Tchekhov ou Lagarce. Aujourd'hui, c'est à Barbara qu'ils rendent hommage, non pas par l'imitation, mais par l'évocation. Une conversation à cœur ouvert.
Avignon et Moi : Pour commencer, comment décririez-vous ce « voyage » dans l'univers de Barbara ?
Philippe Mangenot : C'est un grand voyage musical et théâtral dans la vie et l'œuvre de Barbara. Nous racontons une existence, de la naissance de Monique Serf en 1930 à sa disparition en 1997. Cet itinéraire est ponctué de quatorze de ses chansons, qui viennent éclairer les moments clés de sa vie que nous évoquons. C'est une manière de faire dialoguer la femme et l'artiste.
D'où est venue l'envie de consacrer un spectacle à Barbara, après des auteurs comme Tchekhov ou Lagarce ?
Cette pièce s'inscrit en effet dans une série de créations que notre compagnie, Théâtres de l'Entre-Deux, a imaginées il y a plus de dix ans. Nous aimons créer ces promenades qui imbriquent la vie et l'œuvre. Après Tchekhov, et un spectacle sur Jean-Luc Lagarce né pendant le Covid, il nous fallait une figure féminine. Mais la vérité, c'est que Rafaèle Huou, ma camarade de jeu, rêve de ce spectacle depuis près de vingt ans. Aucune des propositions qu'elle avait pu voir ne correspondait à l'idée qu'elle s'en faisait. Alors, j'ai simplement agi en facilitateur et je lui ai dit : "Arrêtons d'en rêver, faisons-le". Rafaèle a mené un travail colossal d'enquêtrice, en lisant toutes les biographies et en se plongeant dans les archives de l'INA pour composer cet itinéraire à deux voix.
Si vous deviez définir ce spectacle en trois mots, lesquels choisiriez-vous ?
Je dirais : figure féminine forte, tout d'abord. Ensuite, le rêve. Je suis convaincu que c'est son rêve de petite fille, celui de devenir une pianiste qui chante, qui lui a permis de supporter une enfance meurtrie. Elle le disait elle-même, sans ce rêve, elle aurait sans doute basculé dans la folie. Enfin, voyage musical. Nous entraînons le spectateur pendant une heure et demie à travers presque un siècle d'histoire et de lieux mythiques. Le sous-titre, « de théâtre en théâtre », prend tout son sens sur scène : nous nous amusons à recréer ces lieux, des cabarets modestes comme l'Écluse à ses débuts, jusqu'aux salles immenses comme Bobino, l'Olympia ou le chapiteau de Pantin.
Justement, que souhaitez-vous que le public retienne de cette traversée ? Quelle émotion voulez-vous laisser ?
Nous souhaitons avant tout que les gens soient touchés au cœur. Nous avons une immense tendresse pour cette femme et son parcours, et c'est ce que nous voulons partager. Ce qui est troublant, et qui nous était déjà arrivé avec Tchekhov, ce sont les retours des spectateurs. Ils ont besoin de partager un moment avec nous après la représentation, avec cette confusion touchante : avoir la sensation d'avoir retrouvé Barbara sur scène. Pourtant, Rafaèle n'est jamais dans l'imitation. Entendre des spectateurs qui l'ont connue être troublés au point de faire des lapsus entre "Rafaèle" et "Barbara", c'est très émouvant pour nous.
Ce spectacle semble déjà créer ses propres histoires, au-delà de la scène...
Oui, absolument ! Nous écrivons presque quotidiennement les petites histoires de vie et de théâtre que ce spectacle génère. Par exemple, j'ai reçu il y a quelques jours l'appel d'une femme qui tient un gîte à Précy-sur-Vesle. La veille, elle avait hébergé deux cyclistes qui avaient vu notre spectacle à 400 kilomètres de là et lui en avaient parlé avec un enthousiasme fou. Or, cette femme enquête depuis des années sur la présence de Barbara dans son village en 1940. Nous racontons cet épisode où la petite Monique Serf échappe de justesse à un bombardement et se réfugie là-bas. Nos recherches se sont rencontrées. C'était un moment formidable, et nous envisageons maintenant d'aller jouer à Préaux pour l'inauguration d'une plaque commémorative.
Un dernier mot sur le lieu qui vous accueille à Avignon, la Chapelle des Italiens ?
Nous sommes très heureux d'être là. Il fallait un bel écrin pour ce spectacle. Nous voulions un lieu chargé d'histoire pour pouvoir passer de l'intimité d'un cabaret à la grandeur de l'Olympia. La Chapelle, avec sa belle scène de dix mètres d'ouverture, nous le permet. Nous avons même demandé à notre éclairagiste, Mireille Dutrievoz, d'intégrer le lieu lui-même dans la lumière, de ne pas éclairer seulement la scène mais de faire vivre les murs de la chapelle avec nous.
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