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Fabienne Govaerts - Directrice du théâtre Le Verbe Fou

Directrice du théâtre Le Verbe Fou depuis sa création en 2007, Fabienne Govaerts est une figure passionnée et sans concession du Festival d'Avignon. Pour sa 19ème édition, cette amoureuse des textes a bâti une programmation à son image : engagée, littéraire et guidée par le cœur. Entre les difficultés du métier et un regard acéré sur l'évolution du festival et des politiques culturelles, elle nous ouvre les portes de son théâtre et de ses convictions.

Fabienne Govaerts
1 Juillet 2025 à 15h49 Par Jérôme Chaudier

Avignon et Moi : Fabienne Govaerts, vous dirigez Le Verbe Fou depuis près de vingt ans. Racontez-nous la genèse de ce lieu et votre parcours personnel.
Fabienne Govaerts : Le lieu existe depuis 2007. C’était une ancienne imprimerie, que j'ai personnellement transformée en cette petite salle de théâtre. Quant à mon parcours, ce n'était pas un coup de folie ! Le théâtre, c'est ma vie et mon métier depuis 40 ans. J'ai un autre théâtre en Belgique depuis 25 ans, et avant cela, j'étais déjà dans ce milieu comme journaliste freelance et attachée de presse. Venir à Avignon était une évidence, c’est la Mecque du théâtre, un lieu incontournable.

Comment choisissez-vous les spectacles que vous programmez ?
Il y a une ligne directrice claire : la littérature. Il faut que ce soit du texte. Au-delà de ça, je fonctionne entièrement au coup de cœur. C’est comme tomber amoureux. Il faut que je sente un véritable feeling avec le spectacle et avec la compagnie, qu'on soit sur la même longueur d'onde, que l'envie soit réciproque. C'est à ce moment-là que je prends des risques, parce que j'y crois. J'accompagne les compagnies en permanence, parfois dix fois par jour au téléphone. C'est un engagement total.

Derrière la passion, quelles sont les difficultés concrètes du métier de directrice de théâtre à Avignon ?
Elles sont multiples. D'abord, il y a la complexité de s'adapter aux normes de sécurité qui changent constamment. Chaque année, les pompiers ou l'urbanisme ajoutent des exigences. C'est de plus en plus quadrillé. Ceux qui ont ouvert des théâtres il y a 30 ans ont eu plus de chance. Ensuite, il y a la difficulté du choix des spectacles. Dans une salle de 50 places, la rentabilité est faible. Je reçois beaucoup de demandes pour des seuls-en-scène, mais je refuse de ne programmer que ça. Pour accueillir des duos, des trios ou des groupes, je dois faire des concessions financières importantes et prendre des risques avec eux, pour défendre des projets qui me parlent.

Après toutes ces années, quel regard portez-vous sur l'évolution du Festival Off ?
Pour moi, il n'a pas évolué dans le bon sens. Je suis en total désaccord avec la communication autour des 1700 spectacles. Ce chiffre est une poudre aux yeux. On sait que beaucoup de compagnies ne viennent que pour une ou deux représentations. Ce serait plus honnête de le spécifier. Cette démultiplication n’est pas un signe de bonne santé, mais le symptôme d'un paysage théâtral en mauvais état. On fait croire au public que c'est une manne céleste, mais c'est mensonger.

Vous évoquez un secteur en difficulté. Avez-vous le sentiment que la culture est délaissée par le pouvoir politique ?
Je dirais même que c'est pire qu'un abandon. Pour moi, le gouvernement sacrifie la culture sciemment. C'est un choix politique, et ce, partout en Europe, je vis la même chose en Belgique. Il est plus facile de gérer des gens qui regardent des séries sur Netflix toute la journée que des gens qui vont voir des spectacles intelligents, où on leur donne matière à réflexion et où on développe leur esprit critique. On coupe les aides aux théâtres pour que les jeunes compagnies ne puissent plus créer et que les artistes n'atteignent plus leur statut. C'est très triste.

De plus, les grandes productions parisiennes investissent de plus en plus Avignon...
Oui, et elles étouffent les petits. Les gros théâtres parisiens ont acheté des lieux ici car, au final, créer à Avignon coûte moins cher qu'à Paris. Ils créent ici puis font tourner les spectacles. Avec leur carnet d'adresses et leurs moyens, la compétition est impossible pour les autres. On assiste à la même chose qu'entre l'épicerie de quartier et l'hypermarché. On tue l'artisanat dans toutes les branches.

Revenons à votre théâtre. Parlez-nous des coups de cœur qui composent votre programmation cette année.
Cette année, la programmation est très engagée, en écho à l'actualité.

  • Nous produisons La nouvelle Antigone, un projet qui transpose le mythe dans notre époque pour interroger notre capacité à dialoguer sur le changement climatique. Antigone y est une militante activiste face à un Créon Président de la République.
  • Nous accueillons Ulysse à Gaza, une pièce de l'auteur israélien Gilad Evron. C'est un texte courageux sur un homme qui tente de forcer le blocus de Gaza sur un radeau pour y enseigner la littérature russe. Une pièce d'une pertinence folle aujourd'hui, présentée pour la première fois en France.
  • Nous défendons aussi la place de la femme avec deux spectacles. D'abord Camille Claudel, un hommage sensible à l'artiste qui fut enfermée ici, à Montfavet. Le spectacle, basé sur ses lettres, a reçu les éloges de sa petite-nièce, Reine Marie Paris. Puis, Plaidoirie d'une soumise, une pièce poignante inspirée de faits réels où une avocate défend son compagnon en révélant leur relation sadomasochiste parfaitement consentie, un plaidoyer pour la liberté des femmes.
  • Il y a également les deux créations de Bernard Damien, une adaptation de L'écume des jours de Boris Vian et Ainsi parle Zarathoustra d'après Nietzsche, un hymne à l'homme libre.
  • Pour la touche d'irrévérence, la compagnie Les Beaux Parleurs revient avec La Fontaine... Et nous !, un mélange audacieux et plein de folie des fables de notre enfance.
  • Enfin, pour la joie, nous avons deux spectacles sénégalais. Un soir au village est un hommage à Manu Dibango pour toute la famille. Et le concert Udjamaa promet de mettre le feu au Verbe Fou avec ses rythmes et chants qui ravivent la flamme de vie qui sommeille en nous !

Quel mot auriez-vous pour convaincre les gens qui hésiteraient encore à franchir la porte du Verbe Fou ?
Laissez votre livre sur le côté un instant, et venez voir ces beaux textes prendre vie dans la bouche d'acteurs passionnés. Tous ceux qui aiment lire se retrouveront très heureux au Verbe Fou.

Le Verbe Fou
95, rue des Teinturiers – Avignon
(Pastille n°6 dans le guide du Off)

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Article de : Jérôme Chaudier
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