Sophie Millon : « On est dans un monde d’Ubu »

À l'occasion du Festival d'Avignon, la comédienne et adaptatrice Sophie Millon présente « Génération Ubu », une relecture explosive et contemporaine de l'œuvre d'Alfred Jarry. Accompagnée sur scène par Shad Reiss, elle incarne une Mère Ubu plus vraie que nature dans un cabaret politique joyeusement incorrect. La pièce, qui se veut le miroir de notre époque et de ses dirigeants, se joue à La Chapelle des Italiens. Une rencontre coup de poing, à l'image du spectacle.

Avignon et Moi : Pourquoi avoir choisi de vous attaquer à un classique comme Ubu Roi aujourd'hui ?

Sophie Millon : L'idée est née d'un désir de longue date de collaborer avec le comédien Shad Reiss, qui interprète Père Ubu. En cherchant un texte, nous sommes tombés sur Ubu, ce qui a priori n'était pas ce que nous visions, étant plus attirés par les écritures très contemporaines. Mais la figure d'Ubu nous a immédiatement fait tilt. On s'est dit : « mais on est dans un monde d’Ubu ». Le point de départ de Jarry, c'est l'histoire de deux salopards, Père et Mère Ubu, qui assassinent tout le monde pour l'argent et le pouvoir. Malheureusement, ce pitch colle parfaitement à l'actualité. D'ailleurs, le mot « ubuesque » est partout depuis quelques années pour décrire une politique, une situation... Nous sommes cernés par des Ubus qui accaparent les richesses de la planète et assèchent ses ressources.

Comment avez-vous modernisé ce texte de la fin du XIXe siècle pour qu'il résonne avec notre époque ?

Nous avons procédé à une réécriture complète du texte d'origine. Notre inspiration vient de personnages réels, de chefs de gouvernement actuels. Ce n'est absolument pas fortuit, c'est une démarche totalement volontaire. Le spectacle prend la forme d’un cabaret politique, avec une énergie très rock. C'est explosif, rentre-dedans, très politiquement incorrect, mais aussi très joyeux. Nous allons jusqu'au bout du délire de ces personnages qui, aujourd'hui, sont en train de tout massacrer.

À qui s'adresse « Génération Ubu » ?

C'est un spectacle tout public, mais je le conseillerais à partir de 12 ans. D'abord pour sa durée d'une heure et quart, mais aussi pour son côté assez direct et frontal qui n'est pas forcément adapté aux plus jeunes. Il y a aussi le langage, la grossièreté des Ubu, qui fait écho à la vulgarité que l'on peut retrouver chez certains de nos dirigeants.

Si vous deviez résumer la pièce en trois mots ?

Drôle, acide, insupportable.

Qu'aimeriez-vous que le public retienne en sortant de la salle ?

Surtout pas une morale ! Le théâtre vivant n'est pas là pour donner des leçons. Ce qui nous intéresse, c'est de créer une prise de conscience sur ce qui nous attend si nous poursuivons les logiques actuelles : l'accaparement des richesses, la guerre, le mépris, la vulgarité. Nous voulons que le public se demande : « Qu'est-ce qui se passe si je décide de tout prendre pour moi, de me goinfrer sans penser aux autres ? ».

Le spectacle est une vision du monde à la fois désespérée et joyeuse, car tant qu'on est vivants, on peut se réunir et échanger. C'est une invitation à être ensemble pour regarder cette sorte d'apocalypse, un peu à la manière d'un Docteur Folamour. L'important, c'est que la parole circule, qu'on puisse en discuter après. C'est cette énergie que nous avons envie de partager.

Informations pratiques

• Spectacle : Génération Ubu
• Lieu : La Chapelle des Italiens, Avignon
• Dates : Du 5 au 26 juillet (relâches les lundis)
• Horaire : 13h15
• Public : À partir de 12 ans