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Loi Take It Down ! aux États-Unis : Analyse de la nouvelle législation contre les deepfakes et images intimes non consenties.

Une nouvelle loi américaine, baptisée « TAKE IT DOWN Act », promet de s'attaquer frontalement à la diffusion d'images intimes non consenties, y compris les redoutables deepfakes. Si l'intention est louable, des voix s'élèvent déjà pour alerter sur les risques pour la liberté d'expression.

Vous est-il déjà arrivé de frémir à l'idée qu'une image de vous, terriblement intime et personnelle, puisse se retrouver exposée aux yeux de tous sur la toile sans votre accord ? C'est ce fléau, amplifié par la montée en puissance des intelligences artificielles capables de créer des trucages plus vrais que nature, que les États-Unis entendent désormais combattre avec une nouvelle loi au nom explicite : le « TAKE IT DOWN Act ». Signée le 19 mai 2025 par le président Donald Trump, cette législation porte l'ambition de protéger les victimes, mais suscite aussi de vives inquiétudes dans le petit monde des libertés numériques.

Take It Down
20 Mai 2025 à 12h06 Par Jérôme
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NCII et « digital forgeries » : l'ennemi désigné

Au cœur de cette loi, on trouve la volonté de s'attaquer aux « Non-Consensual Intimate Imagery » (NCII), que l'on pourrait traduire par « imagerie intime non consentie ». Pensez au « revenge porn », ces photos ou vidéos intimes diffusées par vengeance après une rupture, mais aussi à toute image dévoilant l'intimité d'une personne sans son autorisation explicite. C'est un peu comme si votre journal intime le plus secret était soudainement placardé sur la place publique numérique.

Et puis, il y a le nouveau monstre numérique : les « digital forgeries », ou « falsifications numériques », terme employé par la loi pour désigner les fameux deepfakes. Ce sont ces montages créés par intelligence artificielle, si perfectionnés qu'il devient quasi impossible de distinguer le vrai du faux. Imaginez une vidéo d'une personne existante, la montrant dans une situation intime qu'elle n'a jamais vécue. Effrayant, non ? Le « TAKE IT DOWN Act » criminalise donc sciemment la publication, ou la menace de publication, de ces images, qu'elles soient authentiques ou forgées de toutes pièces par une IA.

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Le « clic-clac » de la censure ? 48 heures pour tout effacer

Comment ça marche, concrètement ? La loi instaure un mécanisme de « notice-and-takedown », c'est-à-dire un système où les victimes peuvent signaler un contenu illicite aux plateformes en ligne. Ces dernières - réseaux sociaux, sites web, et même certains systèmes de messagerie – ont alors 48 heures chrono pour retirer le contenu signalé et faire des « efforts raisonnables » pour empêcher la réapparition de copies identiques. Un délai très court qui fait tiquer plus d'un observateur.

Des organisations de défense des libertés numériques, comme l'Electronic Frontier Foundation (EFF), craignent que cette pression temporelle n'oblige les plateformes à sur-censurer, préférant retirer un contenu au moindre doute plutôt que de risquer des sanctions. Elles pointent du doigt des définitions jugées trop larges dans la loi, qui pourraient balayer au passage des contenus légitimes comme la satire, le journalisme, ou même des œuvres artistiques. C'est un peu le principe du « dans le doute, abstiens-toi… de laisser en ligne » qui pourrait s'imposer.

Un débat constitutionnel en perspective

La question de la constitutionnalité de cette loi est déjà sur toutes les lèvres. Des experts juridiques, notamment cités par des médias comme Lawfare, s'interrogent sur la conformité du texte avec le Premier Amendement de la Constitution américaine, qui protège la liberté d'expression. Les critiques évoquent un manque de garde-fous, comparables à ceux existant dans d'autres législations comme le DMCA (Digital Millennium Copyright Act) qui régit le droit d'auteur, et qui sont censés éviter les abus.

Un point technique avait même semé le doute : la définition de « l'imagerie intime visuelle non consentie » utilisée pour la procédure de retrait allait-elle bien inclure les deepfakes ? Après analyse des textes de loi référencés (notamment 18 U.S.C. 2256(5) et 15 U.S.C. 6851), il s'avère que la définition de « visual depiction » englobe bien les images générées par ordinateur. Ouf, le diable n'était pas (totalement) dans les détails cette fois, mais la vigilance reste de mise sur l'interprétation globale.

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Le paradoxe des géants du Web

Fait notable, et pour le moins paradoxal, de nombreux géants de la tech semblent soutenir cette loi. Des noms comme Meta (Facebook, Instagram), Google, Microsoft, TikTok et X (anciennement Twitter) figurent parmi les supporters, selon des communiqués de presse émanant par exemple du bureau de la députée María Elvira Salazar ou du Comité sénatorial au Commerce. Même l'organisation TechNet, représentant les PDG de la tech, a applaudi la loi, la qualifiant d'« étape critique pour protéger les victimes ». Un soutien qui peut surprendre, alors que la loi leur impose de nouvelles contraintes et que les associations de défense des libertés civiles crient au loup.

La Première Dame, Melania Trump, a également activement soutenu le projet, le reliant à son initiative « Be Best » visant la protection des enfants en ligne, comme l'a souligné la Maison Blanche. Cela a donné un poids politique certain au texte, qui a d'ailleurs été adopté avec un large consensus bipartisan au Congrès (unanimité au Sénat et une écrasante majorité de 409 voix contre 2 à la Chambre des représentants).

Le saviez-vous ?

Lors d'un discours au Congrès en mars 2025, le président Trump lui-même aurait mentionné, non sans une pointe d'humour grinçant selon des reportages de CTV News, qu'il pourrait bien utiliser cette loi pour lui-même, compte tenu du traitement négatif qu'il estimait subir en ligne. Une boutade qui a fait grincer quelques dents et alimenté les craintes d'une possible instrumentalisation de la loi à des fins politiques pour faire taire les critiques.

La FTC en première ligne, mais avec quels moyens ?

C'est la Federal Trade Commission (FTC), l'équivalent américain de notre autorité de la concurrence et de la protection des consommateurs, qui sera chargée de veiller à ce que les plateformes respectent leurs nouvelles obligations de retrait. Cependant, le président de la FTC, Andrew Ferguson, a déjà tiré la sonnette d'alarme : pour appliquer cette loi (et d'autres nouvelles responsabilités), l'agence aurait besoin d'une « refonte urgente de son infrastructure » et de ressources supplémentaires significatives. Un défi de taille pour une institution dont le budget n'est pas extensible à l'infini.

Des organisations comme le Center for Democracy & Technology (CDT) s'inquiètent également de l'impact sur les services de messagerie cryptée de bout en bout. Si ces services devaient surveiller les communications pour se conformer à la loi, cela pourrait signifier la fin du secret des correspondances pour beaucoup, y compris pour les victimes qui utilisent ces outils pour communiquer en toute sécurité.

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Alors, bouclier ou épée de Damoclès ?

Le « TAKE IT DOWN Act » est indéniablement une réponse forte à un problème douloureux et croissant. Offrir aux victimes un moyen d'action plus direct et rapide contre la diffusion de contenus intimes non consentis, y compris ces terrifiants deepfakes, est une avancée que beaucoup saluent. RAINN, une importante organisation de lutte contre les violences sexuelles, a par exemple parlé d'une victoire pour les survivants.

Cependant, la frontière entre la protection nécessaire et la censure abusive est souvent ténue. Les critiques soulignent que l'enfer est pavé de bonnes intentions et que, sans garde-fous robustes, cette loi pourrait devenir un outil pour museler des voix dissidentes ou simplement pour retirer des contenus légaux par excès de prudence. Les prochains mois, et sans doute les premières actions en justice, nous diront si l'Amérique a trouvé le bon équilibre.

Une chose est sûre : dans la bataille contre les dérives numériques, chaque nouvelle arme législative nous oblige à réfléchir collectivement à la société que nous voulons construire. Et parfois, à vérifier que le remède n'est pas pire que le mal. Gageons que les chatons mignons, eux, ne risquent rien !

Auteur : Jérôme

Expert en développement web, référencement et en intelligence artificielle, mon expérience pratique dans la création de systèmes automatisés remonte à 2009. Aujourd'hui, en plus de rédiger des articles pour décrypter l'actualité et les enjeux de l'IA, je conçois des solutions sur mesure et j'interviens comme consultant et formateur pour une IA éthique, performante et responsable.

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